C'était De Gaulle - Tome I
la République soit du même bord qu'elle, pour se prêter à la convocation du Congrès ou à un référendum. »
Il me regarde d'un air ébahi : « Vous croyez que, si je m'étais retiré après notre défaite, un autre que moi aurait pu gagner l'élection présidentielle ?
AP. — Je ne le crois pas vraiment, mais rien ne vous aurait contraint de démissionner, si ce n'est la menace que vous aviez laissée planer.
GdG. — Dites-vous, Peyrefitte, qu'il y a deux sortes d'élections législatives. Ou bien, elles viennent à leur heure. Il est possible que la majorité sortante ne soit pas renouvelée, ce qui ne veut pas dire que le Président ne peut pas trouver une solution pour aller jusqu'au bout de son mandat. Ou bien, les élections ont lieu après une dissolution, en raison d'une divergence entre le Président et l'Assemblée. Chacun des deux doit s'en expliquer devant le corps électoral. Alors, si le Président est désavoué par le peuple, il doit évidemment s'en aller, qu'il l'ait ou non annoncé. Sinon, quelle figure aurait-il ?
« Nous venons d'échapper à un grand danger »
AP. — Donc, si vous aviez été désavoué après la dissolution d'octobre... »
Il me coupe : « Eh bien, le régime d'assemblée serait revenu au galop, car c'est la pente naturelle des partis. Ils sont à la fois incapables de gouverner, puisqu'ils n'existent qu'en divisant les Français, et incapables d'imaginer une autre pratique que celle-là. Voilà pourquoi nous venons d'échapper à un grand danger. Maintenant, l'opposition est écrasée. Elle est en débris. Il faut en profiter pour travailler. »
Donc, en Conseil, il avait crâné. Maintenant, il avoue. Mais il est serein.
AP : « Est-ce un gouvernement de législature, ou de transition ?
GdG. — Ni l'un, ni l'autre. Pas de législature, puisque le mandat législatif est de cinq ans et que trois ans nous séparent de la prochaine élection présidentielle. Pas de transition, puisque trois ans est une période suffisante pour faire du bon travail. »
Le 8 décembre 1962 au matin, après m'être réinstallé au « petit Matignon », je retrouve le plaisir de traverser à pied la cour de Matignon.
Être Premier ministre de De Gaulle, c'est pour Pompidou une aventure divertissante. Il n'a jamais l'air de se préoccuper de la suite. Aux côtés du Général, il est embarqué, comme on l'est à la foire du Trône dans un wagonnet de montagnes russes. Par moments, on a le vertige, on s'accroche, on jouit du grand frisson.
Quand j'entre dans le bureau du Premier ministre pour lapremière réunion du matin à laquelle je participe depuis dix semaines, elle vient de commencer. Je m'incline devant Pompidou et prends un siège, en faisant signe gaiement à son entourage assis en rond autour de la table drapée, près de la fenêtre ouverte sur le parc. Pompidou, goguenard : « Il me plaît, il a toujours l'air de s'amuser.» C'est bien plutôt à lui que cette expression s'applique. Je ne me voyais pas moi-même sous ce jour; mais, de ce dédoublement que nous ressentons en commun, est sans doute née une complicité.
« La notion de législature va disparaître derrière la notion de septennat »
Après le Conseil du 20 décembre 1962, le Général m'enfonce le clou dans la tête : « L'opposition, le "cartel des non " : il n'y a plus que quelques débris. Pourquoi aller les chercher ? Ils ne représentent plus rien. Nous n'aurons pas besoin d'eux. Si je me laissais aller à leur faire signe, ils me lâcheraient à la première occasion, comme le MRP au printemps dernier. À la première initiative que je prendrais pour assurer l'indépendance du pays, pour expédier ad patres leur dada de la supranationalité, c'est-à-dire l'abaissement de la France, je les aurais contre moi ; ou alors, pour les ménager, il faudrait que je fasse des concessions à leurs chimères, c'est-à-dire que je renonce à faire une politique étrangère qui en soit une.
« Nous avons effectué une révolution psychologique : un gouvernement homogène, une équipe sur qui on peut compter, qui a les mêmes idées, qui sait ce qu'elle veut et où elle va.
« L'agitation des couloirs, c'est fini. La notion de législature va disparaître derrière la notion de septennat. C'est un rythme nouveau qui va s'imposer à la place de l'ancien.
AP. — Maurice Faure, que j'ai rencontré ces derniers temps derrière les micros, disait avec accablement que si vous gagniez cette élection
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