C'était De Gaulle - Tome I
thème de la nation passe bien, dans vos discours en plein air.
GdG. — Bien sûr, qu'il passe ! Les Français redeviennent français ! Nous vivons dans des temps difficiles. Il faut s'élever au-dessus des intérêts particuliers. Si nous nous divisons, si nous nous disputons, nous sommes perdus. Il faut créer les conditions de l'union des Français, et pour ça il faut réveiller leur sentiment national. Quand les Français se divisent et se disputent, je leur parle de la France.
AP. — Les journalistes anglais et américains sont nombreux, et attentifs au moindre de vos mots.
GdG. — Il y a quelque chose de changé, c'est que les Anglo-Saxonsont compris qu'ils ne pouvaient rien contre nous. Nous avons laissé hurler tout le monde. Et puis, les chiens finissent par cesser de hurler, quand ils se rendent compte que ça n'a aucun effet. La France a déclaré qu'elle s'opposait à la poursuite des négociations pour l'entrée de l'Angleterre dans le Marché commun ; ces négociations se sont arrêtées ; l'Angleterre n'est pas entrée dans le Marché commun. La France a déclaré qu'elle ferait sa force nucléaire sans se soucier de ce que feraient les autres ; et c'est ainsi qu'elle fera, c'est ainsi qu'elle fait. Et tout le monde finit par comprendre qu'il n'y a rien à faire pour s'y opposer. »
« C'est ce qu'on appelle l'isolement de la France »
AP. — La presse parlait pourtant ces derniers temps de l'isolement de la France.
GdG. — Écoutez, les invitations que je reçois à l'étranger se multiplient tant, que je ne peux en accepter qu'une partie. Les demandes des souverains ou des chefs d'Etat étrangers à venir en visite officielle en France sont innombrables. Ces voyages atteignent le point de saturation. Ils posent maintenant un grave problème. On est obligé de les espacer. Sinon, la circulation deviendra impossible dans Paris d'un bout à l'autre de l'année. Et puis, ça finit par être fastidieux. Ces gens qui ont fait des milliers de kilomètres pour venir se faire applaudir à Paris et qui passent devant des barrières vides, c'est démoralisant pour eux. Les Parisiens sont blasés. On n'y peut rien.
« Enfin ! Nous en avons fini avec les Africains, ou presque. Ils ne voulaient pas faire de visite officielle à l'étranger avant d'avoir fait leur visite officielle à Paris. C'était, pour ainsi dire, leur baptême. Ils voulaient naître à la vie internationale par la reconnaissance solennelle que constituait leur réception à l'Élysée. Mais tout le reste de la Terre demande à venir aussi.
« C'est ce qu'on appelle l'isolement de la France. (Rire.) La France ne sera jamais isolée si elle redevient elle-même et si elle incite les autres nations à devenir elles-mêmes en respectant les autres. »
« Les nations ne meurent pas »
Je raconte au Général ce que vient de me dire René Brouillet 6 à propos de l'Autriche. « Il y a un fixisme extraordinaire des deuxcomposantes du jeu politique : les populistes (chrétiens sociaux) et les socialistes. Ces deux groupes enregistrent depuis 1919 des variations très faibles, pratiquement nulles. Ils retrouvent les mêmes scores à 1 % près. » Le Général me répond :
« Ce qui est vrai pour des partis et leurs électeurs est vrai, à plus forte raison, pour des peuples. Les peuples ne changent pas. Ils ne meurent pas. Enfin, sauf accident. Ils restent eux-mêmes, avec leurs caractéristiques propres, avec leur tempérament collectif, avec leur âme. Ils peuvent vivre aussi longtemps que l'olivier. Il est vrai que tous les oliviers ne vivent pas vingt-cinq siècles comme celui de Platon. Il y a des peuples qui dépérissent.
(Il s'est levé et s'éloigne de quelques pas de son bureau. Il élargit le sujet.)
« La vie en société consiste à être soi-même, à affirmer sa personnalité, sans porter atteinte à celle des autres. De même, la vie internationale doit permettre à chaque nation de s'affirmer, sans porter préjudice aux autres. L'indépendance est aux peuples ce que la liberté est aux individus. Un peuple a besoin d'être fier. Il faut qu'il ait la fierté de se dire : "Je suis le fruit d'une histoire qui n'est celle d'aucun autre."
« Quand un coureur espagnol ou italien gagne le Tour de France 7 , il est fier non seulement pour lui-même, mais pour l'Espagne ou pour l'Italie. Notre rôle dans le monde est d'encourager les nations à être fières d'elles-mêmes, à affirmer de plus en plus nettement leur
Weitere Kostenlose Bücher