C'était De Gaulle - Tome I
haine-admiration, où la haine l'emporte, de beaucoup, sur l'admiration. Mais ils font honnêtement écho aux informations et analyses que je leur donne, même si elles leur apparaissent comme des plaidoyers. Ils localisent leurs informations sous la formule : « from inside sources 1 . » Ils m'appellent entre eux : The insider 2 .
Je tamise les propos du Général : « Il n'est pas impossible que le général de Gaulle, le 14 janvier, montre les difficultés qui font obstacle pour le moment à l'entrée de l'Angleterre dans le Marché commun... Je ne serais pas tellement surpris que le Général explique les raisons pour lesquelles la France demande à réfléchir avant de participer à la force multilatérale... »
Petit Matignon, 4 janvier 1963.
Le chef du service de presse du Quai d'Orsay me téléphone, furieux : « Vous avez laissé entendre aux journalistes anglo-américains que la conférence de presse du Général allait annoncer la rupture des négociations sur l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun. 1. c'est faux ; 2. même si c'était vrai, il n'aurait pas fallu le dire. »
Ce haut-fonctionnaire est mon ancien. Il en a gardé le ton, qu'avivent un sentiment bien naturel de dépossession, et des réflexes qui sont ceux du Quai de la IV e . Mais comment ne comprend-il pas que, si je ne suivais pas scrupuleusement la ligne du Général, je ne resterais pas porte-parole un jour de plus ? Et comment peut-il se glisser dans la marge de liberté que m'accorde le Général ?
Il ajoute : « J'ai démenti catégoriquement. » Je lui répondsironiquement : « Méfiez-vous. Si le Général dément votre démenti, la presse ne vous croira plus.
— Ne vous inquiétez pas pour ma crédibilité. En tout cas, je vous engage à ne plus vous lancer dans de pareilles élucubrations. »
Il a appelé sur l'interministériel 3 , dont il ne dispose pas. Il est donc dans le bureau de Couve, ou au moins dans celui de son directeur de cabinet. Je lui réponds sèchement : « Si M. Couve de Murville a des observations à me faire, veuillez lui demander de me les faire lui-même. » Couve ne m'a pas rappelé. Je n'arrive pas à croire qu'il n'ait pas été plus prévenu que Pompidou des intentions du Général.
Le lendemain, Pompidou, voyant que mes confidences sur la prochaine conférence de presse font les titres des journaux anglais et américains, me demande si j'ai l'aval du Général.
AP : « Je n'ai pas l'aval explicite pour cette conférence de presse, mais il m'a donné son accord pour ma méthode : laisser filtrer des confidences sur ce qu'il va dire, de manière à amortir le choc. Le jour où il parle, la première réaction défavorable étant déjà absorbée, les gens devraient être moins réfractaires. Si on avait pu préparer les esprits à sa conférence du 15 mai dernier sur l'Europe, elle n'aurait sans doute pas eu des conséquences aussi regrettables. »
« Si Le Figaro et L'Immonde me soutenaient, je considérerais que c'est une catastrophe nationale »
Salon doré, 16 janvier 1963.
Le Général me répète, avec encore plus d'énergie, ce qu'il m'a dit déjà plusieurs fois au sujet des journalistes : « Peyrefitte, je vous supplie de ne pas traiter les journalistes avec trop de considération. Quand une difficulté surgit, il faut absolument que cette faune prenne le parti de l'étranger, contre le parti de la nation dont ils se prétendent pourtant les porte-parole. Impossible d'imaginer une pareille bassesse — et en même temps, une pareille inconscience de la bassesse.
« Vos journalistes ont en commun avec la bourgeoisie française d'avoir perdu tout sentiment de fierté nationale. Pour pouvoir continuer à dîner en ville, la bourgeoisie accepterait n'importe quel abaissement de la nation. Déjà en 40, elle était derrièrePétain, car il lui permettait de continuer à dîner en ville malgré le désastre national. Quel émerveillement ! Pétain était un grand homme. Pas besoin d'austérité ni d'effort ! Pétain avait trouvé l'arrangement. Tout allait se combiner à merveille avec les Allemands. Les bonnes affaires allaient reprendre.
« Bien entendu, cela représente 5 % de la nation, mais 5 % qui, jusqu'à moi, ont dominé. La Révolution française n'a pas appelé au pouvoir le peuple français, mais cette classe artificielle qu'est la bourgeoisie. Cette classe qui s'est de plus en plus abâtardie, jusqu'à devenir traîtresse à son propre pays. Bien entendu,
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