C'était De Gaulle - Tome I
le populo ne partage pas du tout ce sentiment. Le populo a des réflexes sains. Le populo sent où est l'intérêt du pays. Il ne s'y trompe pas souvent.
« En réalité, il y a deux bourgeoisies. La bourgeoisie d'argent, celle qui lit Le Figaro, et la bourgeoisie intellectuelle, qui lit Le Monde. Les deux font la paire. Elles s'entendent pour se partager le pouvoir.
« Cela m'est complètement égal que vos journalistes soient contre moi. Ça m'ennuierait même qu'ils ne le soient pas. J'en serais navré, vous m'entendez ! Le jour où Le Figaro et L'Immonde me soutiendraient, je considérerais que c'est une catastrophe nationale !
« Les Américains se sont infiltrés dans tous les organes de propagande »
AP. — Si nos porte-plume se veulent frondeurs, c'est sans doute qu'ils répondent à l'attente de leur public ? Notre tempérament national nous porte à la critique.
GdG. — Mais non ! Ce n'est pas un phénomène seulement français. C'est la même chose dans d'autres pays. En Allemagne, par exemple, la presse est également déchaînée. Adenauer m'a raconté qu'il y avait une agence de presse très puissante, en Allemagne, qui ne faisait que distribuer des articles ou des nouvelles rédigées par les Anglais, de manière à favoriser les intérêts anglais. Au cours de mon voyage, en septembre, le peuple allemand était soulevé d'enthousiasme, mais la presse était contre moi, parce que c'était le mot d'ordre des Anglo-Saxons. L'Allemagne a une mauvaise Constitution. Elle donne le pouvoir aux appareils des partis. Elle a été fabriquée par les Anglais et les Américains. Elle interdit le référendum. C'est-à-dire que le peuple est mis hors circuit.
« C'est la même chose partout. Les Américains se sont infiltrés dans tous les organes de propagande et dans les partis. Ils ont noyauté les structures politiques. Seul le peuple a encore des réflexes.
« En tout cas, je ne veux plus de journalistes accrédités 4 à l'Elysée. »
Comment suivre de pareilles instructions ? Je crois bien que, si je les avais appliquées, il m'aurait en fin de compte sévèrement jugé.
« La presse soi-disant française »
Après le Conseil du 30 janvier 1963, il reprend devant moi :
« L'attitude de la presse française dans toute cette affaire anglaise est un véritable scandale.
« Que Massip dans Le Figaro, ou Lazurick dans L'Aurore, crachent sur moi et chantent la gloire des Américains, cela n'a aucune importance ; c'est dans leur rôle. Il faut bien que leurs lecteurs trouvent leur satisfaction en les lisant. Mais ça va beaucoup plus loin.
« Oh ! je ne dis pas que la presse soi-disant française reçoive aujourd'hui des enveloppes des ambassades étrangères, comme c'était régulièrement le cas avant la guerre. Ça ne date pas d'hier. Quand Paul Cambon était ambassadeur auprès de la Sublime Porte, le Sultan lui avait demandé : "Pourquoi la presse française me coûte-t-elle plus cher que les autres ?" Vous savez que le professeur Baumont procède à la publication des archives de la Wilhelmstrasse ; d'où il ressort que les principaux journaux parisiens étaient abondamment payés par l'ambassade d'Allemagne avant la guerre. La publication de ces documents devrait faire quelque bruit, mais elle n'en fera pas ; les journalistes, d'instinct, se solidarisent avec la presse d'avant-guerre, bien qu'elle ait cédé la place à celle de la Résistance en 44. Ils préfèrent passer sous silence les turpitudes du passé.
« Je crois surtout que l'Amérique et l'Angleterre paient indirectement. Et je t'invite à venir faire des conférences ! Et je t'invite à dîner ! Et je t'invite à venir faire un semestre dans une Université ! Et je t'invite à un voyage de propagande ! Et je t'envoie une caisse de whisky ! Et il n'y a pas tellement besoin de faire d'efforts, car le snobisme anglo-saxon de la bourgeoisie française est quelque chose de terrifiant.
« Cette espèce de trahison de l'esprit »
« Mais il y a plus grave. C'est l'esprit d'abandon. Cette espèce de trahison de l'esprit, dont on ne se rend même pas compte.L'esprit de Locarno 5 , l'esprit qui nous a amenés à tout lâcher sans aucune garantie, l'esprit qui nous a amenés à laisser réoccuper la Rhénanie 6 , l'esprit qui nous a conduits à rendre sans contrepartie leur charbon et leur acier aux Allemands, pour construire la CECA dans les conditions où on l'a construite. Comme si le but d'une politique française était de faire
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