C'était De Gaulle - Tome I
veulent faire quelque chose, mais ce sera une foutaise. L'emploi des armes nucléaires sera laissé au même commandement suprême américain, qui sera entouré d'un état-major interallié pour apporter une caution, mais sans pouvoir de décision. Les Anglais ont capitulé. Vous pouvez retourner l'affaire dans tous les sens, vous n'en sortez pas. (Nouvel accès de rire.)
« Bien sûr, il ne faut pas dire ça comme ça à vos journalistes, mais vous pourriez leur dire quelque chose comme ceci :
« S'il est exact que les Anglais et les Américains semblent parvenus à un accord sur la constitution de la force nucléaire interalliée, cet accord apparaît de plus en plus comme ayant une portée très limitée, puisque l'organisme qu'il est envisagé de créer s'occuperait simplement de la détermination des objectifs assignés aux unités atomiques. Aucune modification ne serait donc apportée dans l'organisation des commandements.
« Aussi est-il facile au gouvernement français de souligner qu'il ne voit pas très bien en quoi pourrait consister l'intérêt de la force interalliée. Il est manifeste, aujourd'hui, qu'il n'en subsiste plus qu'un nom, qui ferait naître des suppositions dénuées de fondement.
« Le gouvernement français continue donc d'être peu disposé à se prêter à une opération qui a été démesurément grossie. »
Une fois de plus, j'admire comment il peut, instantanément, mettre en forme présentable ce qu'il vient de dire par à-coups, par pulsions ou par gouaille — en renforçant la cohérence et en atténuant le vocabulaire. Il plaque des accords aux extrémités du clavier ; il ébauche des thèmes ; il s'amuse avec l'instrument. Puis soudain, il se concentre, et joue le morceau, sans une fausse note, sans un regard sur la partition. Mais, s'il peut ainsi passer, sans effort apparent, d'un registre à l'autre, c'est parce que celui de la logique reste toujours présent en filigrane, même dans le décousu des propos familiers.
« Il faut un effort énorme pour s'arracher à la glu »
Le 20 avril 1963, le Général me dit : « Pas question de reprendre les négociations avec les Anglais. Sinon, on va de nouveau s'engluer. Ensuite, quand on est dans la glu, il faut un effort énorme pour s'en arracher. Cet effort, je l'ai fait en janvier. Nous n'allons pas recommencer avant quatre ou cinq ans.
AP (mine de rien). — C'est-à-dire pas avant votre prochain septennat ?
GdG (il marque un arrêt de quelques secondes, comme s'il se rendait compte qu'il s'était trahi). — Le mien, ou celui d'un autre. (Mais il est évident que si c'est un autre, celui-ci ne se sentira pas lié par les intentions du Général. Peut-on alors parler de quatre ou cinq ans ? Il reprend aussitôt, pour ne pas me laisser sur cette piste où il regrette visiblement que je me sois engagé.) Je veux bien qu'on garde quelques contacts, mais alors pas seulement avec les Anglais : avec tous les pays de la petite zone de libre-échange. C'était absolument abusif de ne parler qu'avec les Anglais, sans les Danois, les Suédois, les Norvégiens, etc. Ou bien, ils s'arrogeaient le droit de parler au nom des autres, ce qui est illogique, chaque pays étant, ou devant être, souverain. Oubien, ils faisaient semblant d'être les seuls intéressés à entrer dans le Marché commun, mais c'est une hypocrisie de plus : dès qu'on leur aurait entrouvert la porte, tous leurs féaux mettraient le pied dans l'entrebâillement. Alors l'Angleterre, c'est fini. Nous ne connaissons plus que l'EFTA 2 . (Rire.) Encore un sigle qui ne mérite pas d'être traduit en français. Qu'il reste anglais ! »
« Les pacifiques savent qu'il faut se défendre »
Préfecture de Châlons, 24 avril 1963.
AP : « J'ai été frappé par le fait que tout le monde a applaudi tout particulièrement, pendant votre discours de Reims et celui de Châlons, quand vous parliez de la force de dissuasion. C'est vraiment un thème qui passe la rampe.
GdG. — Bien sûr, qu'il la passe ! Les gens de l'opposition, les Guy Mollet 3 , les Maurice Faure 4 veulent nous faire croire que les Français sont pacifistes. Ce n'est pas vrai ! Les Français sont pacifiques, ce qui est exactement le contraire. Les pacifiques savent qu'il faut se défendre. Les pacifistes renoncent à se défendre, en comptant sur la bienveillance des autres. Ils sont fauteurs de guerre.
AP. — Mais ceux qui parlent d'une force de frappe européenne, en réalité, voudraient
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