C'était De Gaulle - Tome I
échapper eux aussi à la toute-puissance américaine.
GdG. — Ils ne savent pas de quoi ils parlent, quand ils parlent de force de frappe européenne ! Aucun Français digne de ce nom ne peut accepter d'être un satellite des Américains. Or, c'est être un satellite des Américains que de ne pas pouvoir disposer des armes nécessaires pour notre défense et de devoir s'en remettre entièrement à l'Amérique.
« Les Américains sont aussi opposés à une force de frappe européenne qu'à une force de frappe française. Ce qu'ils veulent, c'est garder le monopole ! Ils sont farouchement hostiles à ce que d'autres disposent d'un système d'armes atomiques, quelle que soit la nature du commandement sous lequel serait placée une arme qui leur échapperait. Ce qu'ils veulent, c'est que l'arme soit placée sous leur commandement exclusif. Et c'est justement celaque nous ne pouvons pas leur accorder. Car le leur accorder, ce serait dire que nous acceptons la vassalisation de la France.
« Les Américains ne l'ont pas encore compris tout à fait, mais ils sont en train de le comprendre. Depuis trois mois, l'idée a fait du chemin. (Rire.)
« Ils répètent que la force française ne compte pas. Elle comptera cependant assez pour tout changer. Car il y a pour le moment, en tout et pour tout, deux forces : celle des Américains et celle des Russes, puisque celle des Anglais est entièrement fondue dans celle des Américains. À partir de septembre, il va y en avoir une troisième, faible encore, certes, et embryonnaire, mais qui bientôt sera suffisante pour tuer des dizaines de millions d'hommes et pour déclencher un grand cataclysme. Pour qu'il ne risque pas de se déclencher, on sera obligé de compter avec nous. Nous aurons la terrible possibilité de provoquer la fin du monde. Ce qui ne signifie pas que nous avons envie de la provoquer, mais que nous ne voulons pas de la fin de la France. »
« La communauté économique doit se transformer en communauté politique »
Il a répété, dans les harangues de cette tournée (comme il l'avait déjà fait au cours de sa tournée de juin dernier dans le Jura), que la Communauté économique européenne devrait devenir une « Communauté politique ». Je demande au Général si c'est avec intention.
GdG : « Mais oui ! Il faut que ce soit le cas ! La Communauté économique européenne n'est pas un but en soi. Elle doit se transformer en communauté politique ! Et même, elle ne peut continuer à constituer une vraie communauté économique qu'à condition de devenir à la longue une communauté politique. C'est parce que les Anglais n'étaient pas prêts à entrer dans une communauté politique que, finalement, il ne fallait pas les faire entrer dans la communauté économique. C'est la volonté politique qui est le ressort de l'unification économique.
AP. — Mais les institutions politiques ne ressembleraient pas aux institutions de la Communauté économique ?
GdG. — Évidemment ! Pas du tout ! Au contraire, elles doivent être profondément différentes. Il n'est pas question qu'une commission comme celle du Marché commun puisse régenter la politique extérieure ou intérieure des six pays. Mais il faut apprendre à coopérer. Et quand cet apprentissage sera fait, les institutions se resserreront d'elles-mêmes.
AP. — Pensez-vous qu'après quelques années d'apprentissage de la coopération politique, on pourra créer un exécutif commun, comme celui de Bruxelles ?
GdG (sèchement). — Il n'y a pas d'exécutif à Bruxelles. Votre exécutif n'exécute rien du tout. Ce qu'on appelle abusivement exécutif n'est qu'une commission de contact, de coordination, de préparation des décisions. Mais la décision appartient aux gouvernements. Il ne peut en être autrement. Si la commission s'arrogeait le pouvoir de décision contre les gouvernements, elle serait vivement remise à sa place. Ça ne serait pas long. Et nous ne serions pas les seuls à réagir. Appeler la commission à Bruxelles un exécutif, c'est un faux-semblant de plus. Nous avons dit adieu aux faux-semblants. Nous faisons la politique de la vérité.
« Mais ce qui est possible, c'est qu'après l'apprentissage de la coopération politique, on prenne l'habitude de prendre des décisions au sein du Conseil des ministres.
AP. — À la majorité, ou à l'unanimité ?
GdG. — Il faut commencer par l'unanimité, et on verra bien. Je ne peux pas dire ce qui se passera cinquante ans à
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