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C'était De Gaulle - Tome I

C'était De Gaulle - Tome I

Titel: C'était De Gaulle - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Peyrefitte
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indéfendable ! Il aurait pu dire : Que j'ai incarnée il y a vingt ans et que j'incarne de nouveau. Eh bien non ! Il l'a incarnée depuis vingt ans sans discontinuer ! Comme si tout ce qui s'est passé entre son départ et son retour était illégitime ! Non seulement le régime de Vichy, mais la IV e avant qu'il ne revienne ! C'est vraiment de la paranoïa ! »
    Ainsi, l'un de nos hauts fonctionnaires que j'apprécie le plus, et qui met parfaitement en œuvre la politique étrangère du Général, épingle avec une ironie mordante cette expression où de Gaulle, à l'évidence, s'est mis tout entier. Si un fidèle hors de pair s'exprime de la sorte, que doivent dire, à quelques mètres de là, tous les caciques de la IV e , qui s'empressent aux invitations de l'Elysée, mais ne pensent qu'au jour où ils pourront se débarrasser de leur hôte ?

    « La légitimité passe avant la légalité »
    Salon doré, 23 mai 1963.
    Je demande au Général ce qu'il entend par légitimité, et la différence qu'il établit avec la légalité. «En temps normal, me dit-il patiemment, les institutions, les coutumes assurent l'ordre. Mais l'ordre réel ne peut reposer que sur l'indépendance nationale, les libertés publiques, le bon fonctionnement de la justice, la souveraineté populaire. Il y a des périodes où, même si l'ordre apparent continue de régner, il perd son sens, parce qu'en dessous, l'ordre réel est brisé, vous voyez ce que je veux dire ?C'est ce qui est arrivé avec l'armistice, avant de recommencer sous le régime des partis, qui a mis à l'encan la souveraineté de la France. Comme disait Péguy : "L'ordre, et l'ordre seul, fait en définitive la liberté ; le désordre fait la servitude. Seul est légitime l'ordre de liberté."
    AP. — Mais comment distinguer ce qui est légitime de ce qui est légal ?
    GdG. — En temps normal, l'ordre apparent reflète l'ordre profond. Il s'exprime par les lois, par les règlements. Il s'exprime même, tenez, par le protocole, reflet de la hiérarchie par laquelle l'ordre se maintient. Mais il ne faut pas en être esclave. Il faut l'interpréter, le relativiser. Toujours, faire passer l'esprit avant la lettre. »

    « Le critère des critères, c'est l'intérêt du pays »
    Du 18 Juin aux places à table : le Général a établi un rapprochement surprenant entre des circonstances dont le degré d'importance est si contrasté. De fait, on lui soumet les plans de table à l'Elysée, et jusque dans les préfectures de province ou d'outre-mer, dès que pointe une question litigieuse : il la tranche lui-même.
    Il se permet quelques entorses à l'étiquette réglementaire. Ainsi, pour un déjeuner dans l'intimité, il m'a dit à voix basse, au moment de passer à la salle à manger, le 3 février 1966 : « J'ai fait placer François Mauriac avant vous, vous ne m'en voulez pas. » L'idée ne me serait pas venue que la question se posât : un écrivain illustre, mon aîné de presque un demi-siècle ! (Il est vrai, en théorie, qu'un membre du gouvernement en exercice passe avant un académicien, aussi chevronné soit-il.) Dans l'idée que le Général se fait de l'ordre social — et qui est celle du simple bon sens —, un grand écrivain chargé d'ans passe avant un jeune ministre. Pompidou, élevé à bonne école, me glissera cinq ans plus tard, avant de passer à table : « Vous ne m'en voudrez pas, j'ai placé Maurice Genevoix à la droite de Claude. »

    Le Général reprend après un silence, sans que j'aie besoin de le relancer ; le sujet lui tient à cœur.
    « Les questions d'autorité, de subordination, d'ordre social, sont résolues par la loi et le règlement. Mais quand il y a une urgence nationale, comprenez-vous, un péril public, des questions qui sont en principe résolues une fois pour toutes peuvent se poser à nouveau en d'autres termes. Le critère des critères, c'est l'intérêt du pays, qui doit toujours primer. L'État en est le garant. Si la légalité est défaillante, la légitimité doit s'y substituer. »
    Il continue, après un nouveau silence :
    « La démocratie exige que l'on convainque les gens. Quand on peut le faire, c'est préférable. Il faut prendre le soin de faire évoluer les esprits. Cela demande du temps. Mais il y a des circonstances où on n'a pas le loisir de convaincre ; alors, il faut commander.
    « C'est comme avec les enfants. Si on a le temps, on les raisonne, ça vaut mieux. Si on n'a pas le temps, on les secoue 3

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