C'était De Gaulle - Tome I
1918.
« Pendant longtemps, ils n'ont pas voulu accepter ce fait. Maintenant, ils sont obligés de s'incliner devant lui.
« La France a déclaré qu'elle s'opposait à la poursuite desnégociations pour l'entrée de l'Angleterre dans le Marché commun. Ces négociations se sont arrêtées. L'Angleterre n'est pas entrée dans le Marché commun. Elle n'y entrera pas de si tôt, comme la France l'avait déclaré. Les Anglais eux-mêmes ont très bien compris qu'il n'était pas question pour eux de poser à nouveau leur candidature au Marché commun avant longtemps.
« La France a déclaré qu'elle ferait sa force nucléaire sans se soucier de ce que feraient les autres. C'est ainsi qu'elle fait. Tout le monde finit par comprendre qu'il n'y a rien à faire contre la France, et que les clameurs, au lieu de desservir la France, rehaussent son prestige dans le monde.
AP. — L'opposition dit que tout cela coûte horriblement cher.
GdG. — Certes, on peut toujours se dispenser de faire des efforts. On peut se dispenser de faire une artillerie lourde, comme avant 1914. Mais cela prépare des lendemains difficiles. On peut se dispenser de faire un corps cuirassé, comme avant 1940, mais cela conduit à la bûchette 5 . En 1963, on peut se dispenser de se doter d'une arme nucléaire, quand les grandes puissances se livrent à la course atomique. Mais alors, les règlements internationaux se feront sur notre dos.
« On finira par reconnaître, en France et à l'étranger, qu'on ne peut pas passer par-dessus la volonté de la France. Au fond, c'est toujours le même choix : l'effort qui coûte, ou la facilité qui, sur le moment, est agréable pour tout le monde. Mais, en voulant faire plaisir, on disparaît soi-même. »
1 Général d'aviation (c.r.), théoricien de la dissuasion nucléaire.
2 Ambassadeur des États-Unis à Paris. Pourtant, à la fin de sa mission à Paris — et de sa carrière —, il fut invité par le Metropolitan Club de Washington à un dîner de gala. La foule des grands jours s'y pressait, s'attendant à une exécution de De Gaulle. Dans un profond silence, il déclara en substance, à la surprise de tous et à la consternation de beaucoup : « Je rentre de France. Il est vrai que, sur nombre de points, nos idées ne sont pas les mêmes. Mais j'ai pu être reçu par le général de Gaulle chaque fois que je l'ai demandé. J'ai toujours été courtoisement écouté. Entre la France et les États-Unis, la communication n'a jamais été interrompue, ni même difficile. Ceux qui présentent de Gaulle comme un autocrate, fermé à tous les avis sauf le sien, se trompent. Sans doute la politique française ne nous convient-elle pas toujours. Mais la France est maintenant devenue une nation souveraine, et nous devons nous en accommoder. »
3 Secrétaire d'État américain.
4 Sir Alec Douglas Home, secrétaire d'État au Foreign Office.
5 Bûchette : expression familière de De Gaulle. La petite bûche, par euphémisme : l'écrasement.
Chapitre 23
«IL FAUDRA PEUT-ÊTRE BIEN ATTENDRE CINQUANTE ANS »
Salon doré, après le Conseil du 17 avril 1963. Le Général m'a fait une démonstration de sa maestria de la pensée et de la parole. C'est à propos de la force nucléaire interalliée, bien qu'il y ait été à peine fait allusion au Conseil par Joxe, qui remplace Couve cette semaine ; mais la pression américaine ne cesse de le ramener à ce sujet.
« Les Allemands se dédouanent, les Américains se débinent »
GdG : « Voyez-vous, l'Angleterre a voulu une force multi nationale, dite interalliée. Les Américains veulent une force multi latérale. Ce projet aux contours flous a déjà reçu plusieurs plombs dans son flanc. Il est sur la touche. Les Anglais recommencent leur rabâchage : "Il faut faire une force multinationale. Je t'amène le Bomber Command. Avec les Américains, plus les Allemands, plus les Italiens, ça fera la rue Michel 1 ". Et ils terminent en criant : "Hou ! La vilaine France, avec son arbalète, qui veut rester à part !" Et les autres reprennent ce refrain en chœur. (Rire.)
« Les Américains mettront quelques marins dans le pot commun. Les Allemands sont favorables, car leur péché est nettoyé : ils se dédouanent ; ils mettront donc des marins et des officiers. L'Angleterre et l'Allemagne veulent des sous-marins nucléaires. Les Américains ont peur que ça aille trop loin, à cause des Russes. Ils sont tourmentés, ils ne veulent plus, ils se débinent. Ils
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