C'était De Gaulle - Tome I
sacrifice ! Dans l'ensemble des efforts qui sont demandés aux Français pour redresser la France, c'est peu de chose. Leurs jérémiades sont disproportionnées ! Si l'État cédait devant eux, il n'y aurait plus d'Etat.
AP. — Ce qui est dommage, c'est qu'on avait l'impression d'une unité nationale miraculeusement retrouvée, et qu'elle se défait à cause de la suppression d'une pension de 70 francs par an, soit 5,80 francs par mois ! Tout ça pour économiser 70 millions, dans un train de restrictions de 7 milliards ; le centième... Et sur le dos d'un million de survivants de la Grande Guerre.
GdG. — Aucun pays au monde n'a un ministère des Anciens combattants. Aucun n'a institué une retraite du combattant. D'autres pays ont fait la guerre ; ils se contentent d'un service chargé de verser des pensions aux mutilés et aux victimes de la guerre. Mais nulle part ailleurs, vous ne trouverez un membre du gouvernement chargé, en tout et pour tout, de diriger ce service-là et d'être l'interlocuteur permanent des associations d'ancienscombattants. Nulle part ailleurs, le budget de ce ministère ne croît démesurément d'une année à l'autre, malgré la disparition progressive des anciens combattants. Tout ça, c'est de la fumisterie ! Les anciens combattants font une colère d'enfants ! Leurs associations soufflent sur le feu. Les partis de gauche, les syndicats, présentent ça comme si l'État avait décidé à plaisir de brimer des rescapés de l'enfer. En réalité, la démagogie s'est engouffrée dans la brèche.
« Tout le drap se déchirerait »
AP. — Le groupe gaulliste retentit d'imprécations contre les fonctionnaires, qu'il soupçonne d'avoir cherché à vous mettre dans l'embarras. En tout cas, ils n'ont pas tenu compte des conséquences psychologiques d'une mesure qui a été mal préparée.
GdG. — Ce qui est sans doute vrai, c'est que l'opposition essaie de nous faire payer cher une affaire mineure, faute de pouvoir nous attaquer sur une affaire majeure, comme l'Algérie. Elle mobilise, dans la lutte contre le nouveau régime, un potentiel d'émotion qui n'aurait pas pu se libérer sur un sujet plus important, mais moins passionnel. Ne vous y trompez pas ! Ce qu'elle veut, c'est abattre le régime ! C'est pourquoi il ne faut pas capituler. Si nous lâchions sur ce point, tout le drap se déchirerait !
AP. — Vous aviez annoncé, dans votre présentation du plan de redressement financier, que les anciens combattants qui le voudraient seraient invités à faire le sacrifice de leurs 70 francs. Or, dans le texte d'application, il n'était plus question d'un abandon volontaire, mais d'une suppression obligatoire. Ne pourrait-on revenir à votre déclaration initiale ? Vous ne reculeriez pas : seuls reculeraient les fonctionnaires qui ont trahi votre pensée.
GdG. — Je ne vais pas entamer mon mandat en laissant tomber la fonction publique ! C'est une des rares choses qui tiennent encore à peu près debout dans ce pays ! »
Ainsi, il couvre les fonctionnaires qui ont outrepassé ou saboté ses instructions... Il laisse passer quelques secondes sans aménité. Visiblement, il considère que ce sujet est épuisé. Puis il reprend :
« Quant à l'Algérie, on en est arrivé là où l'on est parce qu'il n'y avait pas d'État ; parce que l'État n'a pas fait à temps l'effort qui s'imposait pour faire évoluer l'Algérie ; parce que la féodalité des colons a dominé l'État et a bloqué toute réforme. Les anciens combattants et les colons s'agitent et menacent. Ils se trompent de République. »
Il garde un instant le silence. Je pose mes mains sur les accoudoirs, comme pour me lever. Il me retient en me lançant : « Et les députés du groupe UNR, comment pensent-ils qu'on va s'en sortir ?
AP. — Ils sont massivement favorables à l'intégration et à l'Algérie française.
GdG. — Vous aussi, vous êtes pour l'Algérie française ?
AP. — Je serais pour... si c'était possible. Mais je ne crois pas du tout que ça le soit.
GdG. — Qu'avez-vous dit à vos électeurs pendant votre campagne ? Qu'avez-vous mis dans votre profession de foi ?
AP. — J'ai dit et écrit qu'il faudrait "trouver une solution généreuse ", " établir une paix juste ". »
Le Général esquisse un léger sourire : « Vous ne vous êtes pas beaucoup avancé.
AP. — Je ne m'y suis pas senti autorisé.
GdG. — Je ne vous le reproche pas. Malheureusement, la plupart de vos collègues se sont crus
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