C'était De Gaulle - Tome I
autorisés, eux, à militer pour l'Algérie française et l'intégration ; et maintenant, ils voudraient m'imposer de tenir les engagements qu'ils ont eu la légèreté de prendre. De toute façon, l'Algérie française, c'est une fichaise et ceux qui préconisent l'intégration sont des jean-foutre. Et vos électeurs, qu'en pensent-ils ?
AP. — Ils n'en pensent pas grand-chose, sinon qu'il faut en finir et que le plus tôt sera le mieux.
« Sortir de cette boîte à scorpions »
GdG. — Si je n'étais pas là, la majorité de l'Assemblée aurait voté d'enthousiasme l'intégration de l'Algérie française, cette élucubration abracadabrante des colons d'Algérie, et de quelques colonels acquis à leur cause.
AP. — Quand les deux communautés ont fraternisé en mai dernier, c'était bien ce que vous avez appelé l'intégration des âmes ?
GdG. — Ce n'est pas Lagaillarde 5 qui a provoqué la fraternisation ! Elle n'a commencé sur le Forum que le 15 mai, à partir du moment où on a crié Vive de Gaulle ! C'est sur mon nom qu'elle s'est faite !
AP. — Mais, pourquoi avez-vous lancé il y a quatre mois le plan de Constantine 6 , si ce n'est pour permettre à l'Algérie de se moderniser et de se rapprocher du niveau de la métropole ? Il a donné l'impression que vous vouliez réaliser l'Algérie française.
GdG. — Je l'ai fait parce qu'on ne peut sortir de cette boîte à scorpions, qu'en faisant évoluer l'Algérie du tout au tout. Il faut essayer de lutter contre la clochardisation des Algériens. Bien sûr,il faut aussi que la pacification fasse des progrès sur le terrain. Elle en a fait en Oranie. Elle en fera dans l'Algérois quand nous y mettrons les mêmes moyens. Mais elle ne sera jamais définitive si l'Algérie ne se transforme pas. J'essaie de la transformer. Le collège unique, l'égalité des droits, les élections qui donnent aux musulmans l'habitude de voter pour désigner leurs représentants, l'ouverture de la fonction publique aux musulmans, le respect de chaque communauté, qu'est-ce que c'est, sinon de l'intégration, mais une intégration réaliste ?
AP. — Pourquoi n'avez-vous jamais utilisé ce terme ?
« Une cervelle de colibri »
GdG. — Parce qu'on a voulu me l'imposer, et parce qu'on veut faire croire que c'est une panacée. Il ne faut pas se payer de mots ! C'est très bien qu'il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu'elle a une vocation universelle. Mais à condition qu'ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne.
« Qu'on ne se raconte pas d'histoires ! Les musulmans, vous êtes allé les voir ? Vous les avez regardés, avec leurs turbans et leurs djellabas ? Vous voyez bien que ce ne sont pas des Français ! Ceux qui prônent l'intégration ont une cervelle de colibri, même s'ils sont très savants (il doit penser à Soustelle). Essayez d'intégrer de l'huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d'un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ?
« Si nous faisions l'intégration, si tous les Arabes et Berbères d'Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s'installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s'appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées ! »
Longtemps après m'être retiré, je suis resté tout étonné devant cette liberté de propos, ces formules jaillissantes, ces pronostics d'extra-lucide lisant dans la boule de cristal. Il n'a pas cherché à séduire. Il m'a offert une demi-heure de De Gaulle, pour que j'en fasse mon profit. Il analyse pour la synthèse ; il est clairvoyant pour l'action. Je le retrouve tel qu'il m'était apparu dans son appel du 21 mai 1940. Il m'a semblé, tandis qu'il parlait, voir une clarté se répandre ; comme si l'expérience, la méditation, la conviction illuminaient les mots et même les silences.
1 Secrétaire général de l'Élysée.
2 Directeur de cabinet du Général.
3 C'est de ce salon, situé au premier étage, que le Général a
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