C'était De Gaulle - Tome I
Le Journal du Dimanche, Paris Journal n'en soufflèrent mot. En revanche, L'Aurore (23.2.59) : «Un petit commando de communistes se livra à une manifestation stupide. » Libération (23.2.59) : « Lorsque le moment fut venu de présenter au Président quatre étudiants, ils restèrent de marbre. Devant ce mur de silence, le général et sa suite repartirent par un autre escalier. Pas un applaudissement. » La Croix (24.2.59) : « Lorsque le Président s'approcha du jeune public, il se heurta à un mur. Les membres du service d'ordre, se tenant les bras croisés derrière le dos, faisant un barrage de leur corps, ne bougèrent pas d'un pouce. Ainsi fut empêché tout contact humain entre le Président et les jeunes qui l'acclamaient. »
3 Georges Pompidou, René Brouillet, Jacques Soustelle, Georges Gorse, Jean Charbonnel, Robert Poujade, Pierre Maillard, Sébastien Loste, Jean-Daniel Jurgensen, moi-même.
4 Diplomate, chef du service de presse de l'Élysée.
Chapitre 6
« MON VILLAGE S'APPELLERAIT COLOMBEY-LES-DEUX-MOSQUÉES »
Élysée, jeudi 5 mars 1959.
Geoffroy de Courcel 1 me téléphone : « Le Général veut voir un député gaulliste de la nouvelle vague, qui n'ait pas appartenu au RPF. Brouillet 2 et moi ne connaissons que vous qui réponde à ce portrait. Pouvez-vous venir cet après-midi à 16 heures ? Vous irez voir Brouillet, il vous introduira quand le Général sera libre.
« Cette procédure inhabituelle est due au fait que, pour ne pas faire de jaloux parmi tant de grands anciens du RPF qui demandent audience, votre nom n'est pas inscrit sur la feuille transmise à la presse. »
Avant de m'introduire chez le Général, René Brouillet me tient un tout autre discours que celui qui bruissait à mes oreilles depuis mon entrée en compagnonnage. «Vous n'avez pas été un des militants du RPF : ne le regrettez pas ! On dirait que le Général veut effacer cette page de son passé. Il se méfie d'eux, parce qu'ils croient avoir des droits sur lui. Or, il estime qu'ils lui doivent tout, ce qui est probablement vrai, et qu'il ne leur doit rien, ce qui est peut-être inexact. »
Brouillet développe ce thème avec sa suavité rayonnante. De Gaulle, selon lui, a une conception féodale de ses rapports avec ses compagnons. Il maintient vigoureusement son lien de suzeraineté avec ses « féaux ». Il n'admet pas leur insubordination ; ni, à plus forte raison, qu'ils veuillent, en contrepartie de leur fidélité, lui forcer la main. Il estime qu'ils n'ont qu'à accepter les choix qu'il fait au nom de la France.
Il ne privilégie pas pour autant le « réseau », comme le ferait un vrai féodal. Son amour passionné de l'État l'en empêche. Quand il s'agit de l'État, il redevient Richelieu contre les féodaux.
Brouillet sort un instant, revient me chercher, me fait passer par un corridor, m'introduit dans le Salon doré 3 , me présente.
« L'État a pris l'habitude de plier devant les féodalités »
Comme jeune fonctionnaire, j'ai côtoyé tout le personnel dirigeant de la IV e République, sans parler de quelques survivants de la III e . Aucun, ni Paul Reynaud, ni Bidault, ni Robert Schuman, ni Mendès, ni Edgar Faure, ni Pleven, ne m'a intimidé. Mais pour ce premier tête-à-tête avec le Général, j'ai la gorge contractée.
Il me désigne un fauteuil et ne s'assied qu'après moi.
GdG : « Alors, Monsieur le député, me demande-t-il aimablement, que dit-on dans votre circonscription ?
AP. — Mon général 4 , on parle beaucoup de la suppression de la retraite des anciens combattants ; et on espère que vous allez mettre fin à la guerre d'Algérie.
GdG. — Et à l'UNR, que dit-on ?
AP. — Là aussi, ce sont les deux sujets dominants. À vrai dire, le premier fait encore plus parler de lui que le second.
GdG. — Comme toujours, les parlementaires font passer l'accessoire avant l'essentiel. Dans un an, tout le monde aura oublié la retraite du combattant, mais l'affaire algérienne ne sera toujours pas réglée. C'est l'affaire la plus rude que nous ayons à affronter depuis la guerre.
« Les associations d'anciens combattants et les partisans de l'intégration de l'Algérie font un raffut d'enfer. Ces deux questions n'en font qu'une : la faiblesse de l'État.
« Les anciens combattants se sont constitués en une féodalité devant laquelle l'État a pris l'habitude de plier, comme devant toutes les autres. Eh bien, non ! Les anciens combattants peuvent faire ce petit
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