C'était De Gaulle - Tome I
fait son bureau, précédé du salon des aides de camp, qui le sépare de la salle du Conseil des ministres. Le Salon doré restera le bureau de Georges Pompidou et de François Mitterrand. Mais ni Alain Poher pendant ses deux intérims, ni Valéry Giscard d'Estaing ne voudront s'y installer.
4 Dans la suite de ces pages, je ferai le plus souvent l'économie de ce vocatif, qui revenait sans cesse dans la bouche des interlocuteurs de De Gaulle ; il est mis ici en facteur commun.
5 Pierre Lagaillarde a été l'un des chefs activistes d'Alger en mai 1958. Député d'Alger, il sera l'un des meneurs de la semaine des barricades en janvier 1960 et fondera l'OAS en février 1961.
6 Dans son discours de Constantine, le 30 octobre 1958, le général de Gaulle a lancé un plan de cinq ans, réformant en profondeur la vie économique et sociale ainsi que le système scolaire, en vue d'améliorer le niveau de vie des musulmans d'Algérie.
Chapitre 7
« VOUS VOYEZ UN PRÉSIDENT ARABE À L'ÉLYSÉE ? »
Élysée, 9 octobre 1959.
Revenant de cinq semaines en Afrique centrale 1 et à la veille de partir pour l'ONU 2 , je suis allé bavarder à l'Élysée avec René Brouillet.
« Pourquoi ne demanderiez-vous pas audience au Général ? me dit-il. Afrique, ONU, vous avez deux raisons de le voir. Cette fois, vous pourrez le faire officiellement. »
Salon doré, 20 octobre 1959.
L'aide de camp, le colonel de Bonneval, me dit, courtoisement mais sévèrement : « Monsieur le député, vous arrivez à 10 heures moins 3 pour 10 heures, c'est un peu juste pour une audience du Général ! Sachez qu'il vaut mieux se donner un quart d'heure d'avance que d'avoir une minute de retard. Si vous aviez crevé un pneu, nous serions dans de beaux draps. »
Il me montre l'agenda : « Attention, il y a six audiences ce matin, de demi-heure en demi-heure. Si vous dépassez d'une minute, il va accumuler du retard, parce qu'il se croit obligé de compenser le retard avec lequel il reçoit quelqu'un en le retenant plus longtemps ; et ensuite il en veut à tout le monde. »
Ainsi, le Général a passé son obsession de la ponctualité à ses aides de camp, qui la prennent en charge et l'en débarrassent. C'est peut-être ce qu'il appelle la participation : la délégation des soucis. Cette pratique lui permet de rester détendu.
Trois pendulettes ornent le salon des aides de camp. Elles sont si bien réglées qu'elles se mettent à sonner au même instant. Bonneval a ouvert la porte du Salon doré au premier coup de dix heures et me fait entrer. J'entends alors deux autres pendulettes leur répondre, sur la cheminée et sur la table du Général. Il se lève cérémonieusement. Quand il se rassied, il ajuste ses lunettes pour mieux me scruter.
« Nous avons grand avantage à passer le témoin avant qu'on nous arrache la main »
« Alors, monsieur le député, vous revenez d'Afrique ? »
Je lui raconte l'enthousiasme que suscite son nom, de Fort-Lamy à Brazzaville et de Yaoundé à Bangui ; mais aussi dans les colonies belges, Rwanda et Burundi, et au Congo 3 , de Léopoldville à Élisabethville 4 ; ce qui ne fait aucun plaisir aux autorités belges.
En revanche, je ne lui cache pas les vives critiques qu'adresse à sa politique de décolonisation le docteur Schweitzer, aux côtés de qui j'ai vécu quatre jours dans ce misérable village de paillotes qu'on appelle son « hôpital ».
Le vieil Alsacien considère que la Communauté, qui marche tout droit vers l'indépendance, est une folie ; que les nègres vivent encore à l'âge de pierre, sauf 1 ou 2 % d'entre eux ; qu'il est inepte de les traiter comme s'ils étaient des Européens d'aujourd'hui. Selon lui, en voulant faire leur bonheur sans tenir compte du stade où ils se trouvent, on prépare leur malheur. « Je sais bien que les Français de Libreville et les politiciens africains me traitent de paternaliste, colonialiste, raciste. Mais l'expérience m'a ouvert les yeux. »
GdG : « Schweitzer a raison et il a tort. C'est vrai que les indigènes ne sont pas encore mûrs pour se gouverner vraiment par eux-mêmes. Mais ce qu'il oublie, c'est que le monde existe autour de nous et qu'il a changé. Les peuples colonisés supportent de moins en moins leur colonisateur. Un jour viendra où ils ne se supporteront plus eux-mêmes. En attendant, nous sommes obligés de tenir compte des réalités. Ce que nous avions à faire de plus urgent, c'était de transformer notre empire colonial,
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