C'était De Gaulle - Tome I
établissement universitaire en France, tout en demandant instamment à en visiter un à chacun de ses voyages officiels à l'étranger.
À cause d'elle, je crois bien, il attachait un prix particulier à s'entourer d'universitaires (et plus particulièrement de normaliens 3 qui manifestaient, par leur présence à ses côtés, que toute l'Université ne participait pas à la rébellion dont il avait été, ce soir-là, la victime impavide, mais blessée au plus secret de l'âme.
Cette rebuffade, et l'absence de réaction d'un public qui ne prenait nullement à partie les provocateurs, donnaient un signal avant-coureur : de Gaulle ne cesserait, jusqu'à sonretrait, de rencontrer l'hostilité de tout ce qui comptait dans le monde intellectuel — mais aussi dans le monde politique ou économique, qu'il fût de gauche, de droite ou du centre.
Pour moi, passée la surprise, je sentis d'un coup ce que l'euphorie du moment avait de trompeur, et que, sous l'habit de cérémonie, il faudrait toujours porter la tenue de combat.
« Ne pas risquer de compromettre l'autorité »
Huit ans plus tard, étant en charge de l'Éducation nationale, je devais recevoir une double confirmation de ces suppositions.
Élysée, 10 mai 1967.
À l'issue du Conseil, j'ai demandé à suivre le Général quelques minutes dans son bureau.
AP : « N'accepteriez-vous pas de présider la remise des prix du Concours général, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne ? Il y a très longtemps que vous n'avez pas honoré de votre présence une université française. Ce serait bien reçu dans les milieux universitaires. »
Le Général reste un moment sans me répondre. Puis, comme à regret :
« Il ne faut pas risquer de compromettre l'autorité présidentielle. Je crois que je ne vais pas donner suite à votre proposition. »
J'insiste :
« Je ne vous l'aurais pas faite, si je n'avais pas pris mes précautions pour ne pas vous faire tomber dans un piège ! Le public de cette cérémonie est composé des lauréats et de leurs parents, ainsi que de professeurs d'université en robe.»
Il regarde vers le parc, réfléchit encore :
« Non, vraiment. S'il ne s'agissait que de moi, j'en ai vu d'autres. Mais c'est le type de circonstances où une provocation est si facile à organiser. Il y a des risques à ne pas courir. »
Chez lui, décidément, la prudence est le contraire de la peur. Lui qui a souvent vu la mort de si près, il ne la craint pas. Mais il ne veut pas se trouver dans une situation où aurait à souffrir le prestige de la fonction qu'il est en train de construire pièce à pièce.
À moins qu'il ne se souvienne, lui qui connaît l'histoire de France dans ses moindres détails, qu'à la veille de la guerre de 1870, le jeune Prince impérial présidait cette même cérémonie du Concours général dans cette même Sorbonne, et remettait les récompenses ? Quand fut appelé l'élève Cavaignac, sa mère — la veuve du général battu par Louis-Napoléon Bonaparte à l'élection présidentielle de 1848 — lui intima à haute voix, dans le silence, l'ordre de se rasseoir. Tout Paris en avait fait des gorges chaudes.
Sorbonne, 22 juin 1967.
J'ai donc dû présider la distribution des prix du Concours général. Filles et garçons vibraient tellement qu'ils en venaient à applaudir mes phrases à contretemps — comme il arrive à un public juvénile, dans un concert, d'applaudir non seulement entre, ce qui est déjà agaçant, mais pendant les mouvements... Quelle tristesse ! De sa vie, le Général n'aurait eu public plus enthousiaste.
« Je sème des graines, je ne les verrai pas éclore »
10 août 1967.
Bernard Tricot, le nouveau secrétaire général de l'Élysée, me prévient que le Général souhaite que je l'accompagne lors de son voyage en Pologne.
Surprenant : aucun ministre que celui des Affaires étrangères n'a sa place dans une visite d'Etat du Président de la République, depuis la III e . Maurice Couve de Murville n'est pas homme à laisser prescrire le monopole d'accompagnement que la tradition attribue à sa fonction.
De fait, cette équipée polonaise sera la seule exception à la règle, pendant les onze ans du principat du Général.
Cracovie, 8 septembre 1967.
Chaque jour, chaque heure de ce voyage — le premier du Général dans une démocratie populaire —, je me demande ce que je fais là. Soudain, à Cracovie, j'ai compris ce que le Général attendait de moi.
Dans la célèbre
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