C'était De Gaulle - Tome I
à un contre cinq. C'est un tour de passe-passe puéril ! On s'imagine qu'on pourra prendre les Algériens avec cet attrape-couillons ?
« Avez-vous songé que les Arabes se multiplieront par deux puis par cinq, pendant que la population française restera presque stationnaire ? Il y aurait deux cents, quatre cents, six cents députés arabes à Paris ? Vous voyez un président arabe à l'Élysée ? »
« L'Algérie française, ce serait le tonneau des Danaïdes ! »
Je perçois dans son propos l'écho de formules déjà entendues en mars dernier. Elles me surprennent moins aujourd'hui. Mais je constate que son rejet de « l'intégration » se durcit, comme s'est durcie dans le même temps l'opposition des partisans de l'Algérie française à sa politique.
AP : « Vous prêchez un converti. Mais les remous au groupe me font craindre que les assises du mouvement à Bordeaux, au début de novembre, se passent difficilement. Les " soustelliens " seront fortement majoritaires.
GdG. — Je compte sur vous, et sur quelques autres heureusement (cet heureusement n'est pas aimable), pour montrer aux militants que seul de Gaulle peut régler l'affaire algérienne et que les gaullistes n'ont pas d'autre devoir que de le soutenir. Tâchez de leur faire comprendre, car ils comprennent le langage des chiffres, qu'il vaut mieux pour la France une Algérie algérienne au sein de la Communauté, qu'une Algérie française au sein de la France, qui nous mettrait à plat pour toujours ! Le maintien des départements algériens dans la France nous coûterait non seulement un grave préjudice moral dans le monde, mais un effort ruineux ! Ce serait le tonneau des Danaïdes ! Si l'Algérie restait française, on devrait assurer aux Algériens le même standard de vie qu'aux Français, ce qui est hors de portée. S'ils se détachent de la France, ils devront se contenter d'un niveau de vie très inférieur ; au moins, ils ne pourront plus en faire grief à la France, et ils auront une satisfaction de dignité, celle de recevoir le droit de se gouverner eux-mêmes.
« Les bénéfices se sont retournés en pertes »
« La colonisation a toujours entraîné des dépenses de souveraineté. Mais aujourd'hui, en plus, elle entraîne de gigantesques dépenses de mise à niveau économique et social. C'est devenu, pour la métropole, non plus une source de richesse, mais une cause d'appauvrissement et de ralentissement.
« Quand nous nous sommes installés en Algérie, comme dans les autres colonies, nous avions la perspective d'exploiter les matières premières qui dormaient jusque-là, de mettre en culture des marécages ou des plateaux arides. Nous pouvions espérer un rapport très supérieur au coût de l'installation. À cette époque-là, l'appât du gain était masqué par la proclamation d'un rôle qu'on nous présentait comme un noble devoir. Nous apportions la civilisation.
« Mais, depuis la première guerre et surtout depuis la seconde, les coûts d'administration se sont aggravés. Les exigences des indigènes pour leur progrès social se sont élevées ; et c'est parfaitement naturel. Le profit a cessé de compenser les coûts. La mission civilisatrice, qui n'était au début qu'un prétexte, est devenue la seule justification de la poursuite de la colonisation. Mais puisqu'elle coûte si cher, pourquoi la maintenir, si la majorité de la population n'en veut pas ?
AP. — Et le pétrole ?
GdG. — Nous devrions pouvoir au moins retrouver notre mise et garantir notre approvisionnement. Mais le pétrole et le gaz ne suffiront pas à payer l'effort qu'exige de nous l'Algérie. Ne vous leurrez pas. Dites-vous bien que les nations colonisatrices, en Algérie comme ailleurs, espéraient tirer des bénéfices qui ne sont pas venus, ou qui se sont vite retournés en pertes. C'est au moment où leur rôle civilisateur leur coûtait de plus en plus cher, qu'il a été de moins en moins accepté. Leurs obligations régaliennes se sont multipliées, avec leurs dépenses militaires, devant les premières rébellions. C'est une règle à laquelle il n'y aura pas d'exceptions, sinon pour de tout petits territoires.
AP. — Mais les colonies portugaises, espagnoles, belges, soviétiques...
GdG. — Vous verrez, ces empires s'écrouleront les uns après les autres. Les plus malins sont ceux qui s'y prendront le plus vite. Les Anglais, puis les Hollandais, se sont retirés les premiers ; ils s'en sont bien trouvés.
« Nous ne
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