C'était De Gaulle - Tome I
son arrivée va y changer le cours des choses.
GdG. — Croyez-vous ? Je me pose des questions. Il aurait dû se placer au-dessus de la mêlée. Je l'ai encouragé à gagner les hauteurs. Mais c'est plus fort que lui. Il ne peut pas supporter de ne pas être au Parlement. Tel qu'il est, il faut qu'il se place au plus fort de la controverse. Seulement, il va être prisonnier de ses électeurs, de ses militants, de ses amis et de ses ennemis.
AP. — Mais puisqu'il semble acquis qu'il va remonter à la tribune, il va pouvoir s'imposer comme chef du groupe gaulliste et de la majorité ?
GdG. — Le chef naturel de la majorité, c'est le Premier ministre. Et je me demande si Debré est fait pour être un chef de majorité en étant parlementaire. Il a été un chef de l'opposition courageux au Sénat, pendant qu'il fallait entretenir la résistance au système des partis. Il a été un Premier ministre réformiste et fidèle. Maintenant, je me demande s'il peut diriger un groupe de la majorité. Il faudrait un manoeuvrier. Son tempérament l'empêchera de mettre de l'huile dans les rouages.
AP. — Mais il donnerait une tête et un corps à ce groupe qui n'en a pas ! Il stimulerait le gouvernement !
GdG. — Croyez-vous ? Il risque d'y avoir des clans, des tendances qui s'opposeront. Quand on met l'accent sur des oppositions, on suscite les oppositions. Il y aura ceux qui seront pour Debré, puis ceux qui seront pour Pompidou, et puis les gaullistes de gauche, et puis les gaullistes de droite, sans parler de ceux qui ont la nostalgie de Soustelle. Ce serait l'éclatement du gaullisme. Si l'UNR l'a emporté aux élections, c'est qu'elle avait une unité de vues, c'est qu'elle avait marqué son identité de vues avec moi. Le gaullisme doit être un, ou il s'effondrera après moi. J'ai peur qu'un homme comme Debré ne trouve pas sa place à la Chambre parmi ceux qui parlent en faveur du gouvernement. Il est un homme d'action, ou d'opposition.»
« Debré, on ne peut pas l'empêcher de se battre »
Comme s'il craignait de m'avoir paru trop sévère, il ajoute, après un temps :
« Voyez-vous, quand Debré m'a remis sa démission, j'ai pensé qu'il pouvait être, si j'étais foudroyé, celui qui répondrait de l'Etat. (Manière de dire : mon successeur; cette périphrase un peu tarabiscotée cherche sans doute à écarter le mauvais sort.)
AP. — C'est pour ça que vous lui avez demandé de se tenir " enréserve de la République" ? Ça n'était pas une formule de politesse, une façon courtoise de le congédier ?
GdG. — Pas du tout, voyons ! On ne dira jamais assez l'énergie, le courage, l'abnégation qu'il a déployés à mes côtés depuis mon retour aux affaires ! La rédaction de la Constitution, la mise en place des institutions, le rétablissement de l'économie et des finances, la transformation de l'Empire en un système d'États associés, les fondations de la puissance et de l'indépendance : il était sur tous les fronts à la fois. Il a tout assumé, que ça réponde ou non à ce qu'il aurait souhaité. Et par-dessus tout, dans l'affaire algérienne, il a été assez loyal pour oublier ses préférences personnelles, quand il s'est agi de mater la subversion militaire et de trancher le nœud gordien. Sans lui, je ne crois pas que la V e République, compte tenu de la composition de l'Assemblée qui avait été élue en 58, aurait pu être mise sur pied comme elle l'a été. En 62, je ne voyais que lui, après moi, qui puisse tenir la barre.
AP. — Et maintenant ? »
Va-t-il dire que Pompidou s'est imposé pour ce rôle, et a, du même coup, écarté Debré ? Il s'en garde bien.
GdG : « Je lui avais demandé de prendre du champ. Malheureusement, il ne l'a pas fait. Je souhaitais qu'il se donne figure, de manière à assurer un jour le relais. J'aurais aimé qu'il voyage, qu'il écrive, qu'il s' éloigne du théâtre de marionnettes. Mais vous connaissez Debré : on ne peut pas l'empêcher de se battre. C'est sa nature. Il a fallu qu'il retourne sur les tréteaux, qu'il brigue à nouveau un mandat dans sa circonscription d'Amboise, et qu'il se fasse éliminer par un garagiste rad'soc'. Il a fallu qu'il prenne en main l'UNR. Et par le fait même, il rétrécit sa propre audience, en se confondant avec un parti ; je me demande même s'il ne rétrécit pas l'audience de l'UNR. Il s'est mis hors d'état d' apparaître comme l'homme de la nation. Le chef de l'État doit rassembler ; les partis
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