C'était De Gaulle - Tome I
Mais il faudra du temps et de la patience. »
Ce long rapport 1 me revient quelques jours plus tard avec lamention « Vu ». Quand Pompidou approuve une note, il marque « Oui ». Quand il est favorable au principe, mais sans enthousiasme, il inscrit « Soit ». Quand il ne souhaite pas prendre position, il se contente de « Vu ». Il ne veut pas laisser trace d'une approbation qu'il pourrait un jour récuser.
Ensuite, il me commente oralement : « Vous allez trop loin ! Le Général n'acceptera jamais votre système, qui est ouvertement copié de la BBC et de l'AFP. Pour l'AFP, il ne cesse de pester, en l'accusant de partialité contre le gouvernement. Pour la BBC, il considère que les Anglais ne sont pas des Français, respectent les institutions, ne combattent pas systématiquement le gouvernement. Bref, que ce système peut marcher chez eux, mais pas chez nous. »
Tout est bien verrouillé. Pompidou ajoute en souriant :
« Quand vous avez une idée, vous voulez qu'elle se réalise, même si la réalité l'exclut. Vous avez le même type d'esprit que le Général ou que Debré. Moi, je suis fait autrement. J'attends qu'une occasion se présente et je la saisis quand elle vient. Le Général prétend qu'il est un empirique. C'est inexact. Il est un volontariste, il veut imprimer sa volonté à la réalité, quitte à obtenir un effet contraire à celui qu'il attend, parce que la réalité ne s'y prête pas. L'empirique, c'est moi. Amusez-vous si vous voulez avec votre projet de statut, mais ce n'est pas cette année qu'il va passer. Vous ne voyez donc pas que ce n'est pas le moment ? »
Ma secrétaire, à laquelle j'avais dicté une note de présentation du projet, m'a dit en refermant son bloc : « Vous n'êtes plus là pour longtemps. Cela fait sans doute le dixième ministre de l'Information 2 que je vois préparer un statut de la radio-télévision ; aussitôt après, ils sont tous partis. »
Début septembre. Dans mon changement d'affectation, pour combien compte la défiance que suscitent mes projets ? Et pour combien, les trop bonnes relations que j'entretiens avec les journalistes ? Du Populaire à L'Express et du Canard enchaîné au Figaro, ils saluent mon départ de l'Information par une salve de compliments : de quoi me compromettre irrémédiablement aux yeux du Général.
1 Rédigé par mon collaborateur Jean-Claude Michaud.
2 J'étais le 34 e depuis la Libération.
Chapitre 10
« LA PRESSE EST CONTRE MOI, LA TÉLÉVISION EST À MOI »
Salon doré, 7 décembre 1962. Lors de mon entretien avec le Général à l'issue du premier Conseil des ministres du nouveau cabinet Pompidou 1 , le Général me fait avec gentillesse un reproche : « Je vous ai vu à la télévision pour votre passation de pouvoirs avec Fouchet. Il vous a dit devant les caméras que vous jouiez ensemble au jeu de taquin. Vous savez, il est préférable de ne pas passer à la télévision quand ça n'en vaut pas la peine. »
« N'essayez pas de persuader, donnez des instructions »
Je me défends mal en expliquant que la télévision, d'elle-même, a cru devoir prendre des images du ministre dont elle dépend, puisqu'il changeait...
GdG. — Soyez-en économe. Ne vous laissez filmer que quand vous en avez pris l'initiative, pour dire des choses que vous avez préparées, et qui sont de nature à faire comprendre aux Français la politique de la France. Et puis, à quoi ça sert, ces voitures noires, ces huissiers qui se précipitent, ces courbettes, ces portières ouvertes et claquées ? Ça ne sert à rien.
AP. — Tantôt ils fayottent, tantôt ils se rebellent pour faire oublier qu'ils ont fayotté, parce qu'ils sont aux ordres du gouvernement, à mes ordres, et que ça ne correspond pas à l'état d'évolution de notre société.
GdG. — Vous savez, vos journalistes de la presse écrite, vous pouvez toujours essayer de leur expliquer les choses, vous n'y arriverez pas. Ce sont des adversaires et ils sont bien décidés à le rester. Alors, servez-vous au moins de l'instrument que vous avez entre les mains, la télévision ; mais servez-vous-en à bon escient. N'essayez pas de persuader les responsables, donnez-leur des instructions. La presse est contre moi, la télévision est à moi. »
La veille de sa déclaration devant la nouvelle Assemblée, Pompidou me dit avec le sourire : « Vous allez être content. Le Général est d'accord pour que j'annonce un nouveau statut de laRTF dans la législature.
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