C'était De Gaulle - Tome I
Mettons-nous d'accord sur la forme. (Il me tend une feuille :) "Je rappelle que, le 4 octobre 2 , j'avais indiqué qu'un projet de statut de la RTF était en préparation et que je me proposais de le faire aboutir. Je renouvelle cette promesse. Nous verrons si nous arrivons à contenter tout le monde. " Ça vous va ? »
Ça me va parfaitement. Nous n'arriverons sûrement pas à contenter tout le monde, mais je me sens tout ragaillardi devant la perspective de ce défi. C'est Pompidou qui a donc réussi à obtenir un feu vert, ou en tout cas orange. Il a décidément la manière pour rallier le Général à ses vues.
« Remettez d'abord de l'ordre »
27 janvier 1963.
Malraux me raconte qu'il a demandé à Kennedy : « Comment pouvez-vous tenir un pays comme le vôtre, sans disposer de la télévision ? »
Le Général aurait pu poser la même question ; mais il n'aurait pas été assez naïf pour le faire. Telle est pourtant, de tradition, la conception française : il n'y a pas moyen de gouverner un pareil pays, si les moyens audiovisuels n'appartiennent pas à l'Etat et ne sont pas guidés par le gouvernement.
27 février 1963, Pierre Lefranc vient me voir et me fait un nouvel avertissement. Je m'inquiète et en parle le lendemain au Premier ministre.
Il me répond en souriant : « Vous ne ferez pas changer d'avis à la fois le Général et Lefranc. On pourra peut-être convaincre le Général s'il n'est remonté par personne. Comme Lefranc va devenir préfet, ça ne doit pas être impossible. Ensuite, nous verrons si nous pouvons faire passer le Général à l'attendrisseur. Mais, d'ici là, tâchez de faire quelques actes d'autorité. Faites ce qu'il vous a demandé : remettez d'abord de l'ordre. Le Général n'acceptera que vous passiez la main à une nouvelle direction de la RTF que lorsque vous l'aurez purgée vous-même de ses mauvaises habitudes et de ses éléments rebelles. »
Au Conseil des ministres du 12 mars 1963, le Général pousse une colère devant le comportement de la RTF. Pompidou prend vigoureusement ma défense. « C'est la première fois depuis 1958 qu'on assiste à une remise en ordre. » (Ce n'est pas aimable pour mes huit prédécesseurs à ce poste depuis le retour du Général, parmi lesquels, autour de la table, Malraux et Frey, qui n'ont eu que le tort de ne pas rester assez longtemps.)
Le Général ne répond pas, prend la suite de l'ordre du jour, puis, à la fin, me fait un compliment appuyé qui tombe comme un cheveu sur la soupe.
Broglie : « Il s'est rendu compte qu'il avait pris un coup de sang, il a voulu réparer.
Bokanowski. — Il est toujours comme ça. Il a une bouffée d'impatience, puis il s'en veut et se rattrape comme il peut.»
« Expliquez votre réforme à la télévision »
1 er avril 1963. Je rédige une note pour présenter au Général et à Pompidou ma réforme du Journal télévisé.
« Le Journal télévisé est médiocre. Le public ne lui accorde qu'un faible crédit. La pauvreté habituelle des images, la suffisance et l'à-peu-près des commentaires, le rendent souvent difficilement supportable...
« Cependant, le moindre propos des journalistes de la RTF prend une allure officielle ; les incidents politiques se succèdent, le gouvernement étant dans tous les cas rendu responsable.
« Une réforme profonde s'impose, pour substituer au règne de l'improvisation un journal construit, réfléchi, imagé : suppression de la corporation des journalistes-speakers polyvalents, dits "présentateurs" ; rédaction complète du journal par des journalistes spécialisés et lecture au téléprompteur d'un texte vérifié par des rédacteurs en chef responsables ; multiplication des reportages et concrétisation visuelle de l'information ; multiplication des tribunes ; organisation systématique de Journaux télévisés régionaux. »
Le Général a lu ma note avec soin et prend l'initiative de m'en parler :
« J'approuve les principes de votre réforme, mais il faut trouver des hommes pour l'appliquer. Et il faut que vous l'expliquiez vous-même à la télévision. Il faut que les gens comprennent ce que vous voulez faire. Que ça marque un changement. Et puis, ne vous emballez pas pour les tribunes ; nous n'allons quand même pas vivre dans un Barnum permanent !
« Quand on se gratte, on finit toujours par s'irriter »
AP. — Il y a dans le pays une demande de débat. Il n'est pas bon pour nous qu'on ait l'impression d'un discours monocorde.
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