C'était De Gaulle - Tome I
divergence est trop forte entre Pompidou, que je sens proche de mes idées, et l'Elysée, que je sens décidément bien éloigné : il faut que je m'en ouvre au Premier ministre.
Je trouve une oreille beaucoup plus complaisante au libéralisme auprès de lui, ainsi qu'auprès d'Olivier Guichard, qui suit ces questions à Matignon.
Petit Matignon, 15 juin 1962.
Je dois bien reconnaître que le comportement de « mes » journaux télévisés donne actuellement raison au Général. Pendant ces dures semaines du printemps 1962, le ton qu'ils prennent est souvent celui que peut le plus souhaiter l'OAS. Les mauvaises nouvelles sont montées en épingle — assassinats, écroulement de bâtiments publics en Algérie, scènes de panique — ; les bonnes, à peine évoquées — arrestation de Salan et de ses principaux lieutenants, signes d'essoufflement de la rébellion OAS. L'idée se répand que le désastre s' amplifie, que l'autodétermination est inapplicable, que de Gaulle va devoir s'en aller, abandonné de tous. Et ces émissions, sur la chaîne unique, sont suivies plus avidement encore à Alger et Oran qu'à Paris ou Marseille.
Je dois me résoudre à ce qu'ont fait mes trente-deux prédécesseurs depuis la Libération, et que je m'étais juré de ne jamais faire : cette semaine, je convoque chaque matin dans mon bureau les responsables de l'information à la radio et à la télévision, pour examiner avec eux les questions du jour...
« Un libéral, c'est quelqu'un qui croit que ses adversaires ont raison ? »
Salon doré, 20 juillet 1962.
Le Général me convoque pour me houspiller, furieux d'une émission de télévision passée la veille. Le journaliste américain Schoenbrunn, interrogé par Michel Droit, a tenu des propos caustiques sur le Général.
GdG : « Où êtes-vous allé le chercher, ce Schoenbrunn, pour qu'il m'insulte sur mes propres ondes ? Et ce Michel Droit, où êtes-vous allé le chercher ? Ils avaient l'air de deux complices qui s'étaient entendus pour faire un mauvais coup. »
Je saisis l'occasion pour dire au Général : « Nous sommes dans un cercle vicieux. Du fait que la télévision appartient au gouvernement, chaque journaliste — même les mieux intentionnés — est tenté de faire étalage de son indépendance en prenant le ton de la fronde. L'immense majorité des cadres, des journalistes, des techniciens sont à gauche, quand ce n'est pas carrément communistes. Et ceux qui nous seraient favorables ont peur de passer, comme ils disent, pour des "jaunes" ou pour des "larbins".
« Ce n'est pas une situation saine. Si je prends la moindre sanction, ça devient une affaire d'État. Il faudrait un instance garante de l'impartialité ; des droits garantis pour l'opposition qui combat le gouvernement, mais aussi pour la majorité qui le soutient ; des sanctions sévères qui pourraient être prises en cas de manquement à l'impartialité ; ce qui suppose que l'autorité qui les prononcerait ne serait pas contestée comme étant elle-même partiale. Voilà pourquoi il me semble nécessaire de faire un statut libéral.
GdG. — Libéral, libéral, qu'est-ce que ça veut dire ? Un libéral, c'est quelqu'un qui croit que ses adversaires ont raison ? Mais persuadez-vous que c'est vous qui avez raison, et non pas vos adversaires !
AP. — La BBC a pourtant réussi à avoir du crédit, sans louanger ni critiquer systématiquement le gouvernement.
GdG. — Ne rêvez pas ! La quasi-totalité de la presse écrite est contre moi. Je ne peux pas brader la télévision, qui est à moi. Il faut bien compenser les journaux par les moyens que la loi met à ma disposition.
« La démocratie devient la démocrassouille ! »
AP. — J'ai pas mal vécu ou séjourné à l'étranger. Notre système, pour la radio et surtout la télévision, on ne le trouve que dans les pays de l'Est, ou dans des régimes autoritaires comme l'Espagne, le Portugal et les pays du tiers-monde. Dans les démocraties représentatives, il y a des télévisons privées, ou alors une corporation publique dont la neutralité est assurée par des représentants du gouvernement et de l'opposition.
GdG. — Vous vous laissez hypnotiser par les Ango-Saxons. Il y a d'autres façons que la leur de concevoir la démocratie et l'information ! À supposer que ça marche bien chez eux et durablement, ce que je demande à voir, il ne faudrait pas s'imaginer pour autant que ça marcherait chez nous ! Nous, c'est plus fort que
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