C'était De Gaulle - Tome I
nous : dès que quelque chose tient debout, il faut qu'on le renverse ! Dès qu'il y a une réserve à formuler, ça devient du dénigrement ! Si nous avons la démocratie, ça devient la démocrassouille ! Si nous avons la dictature, ça finit en tragédie ! Il faut quand même arriver à bâtir un système qui fonctionne ! Nous ne pouvons rien sur la presse écrite. Qu'au moins, les journalistes de la radio et de la télévision ne se croient pas obligés de tirer à boulets rouges sur le gouvernement ! »
À mon retour au « petit Matignon », je trouve sur le bureau. sous double enveloppe, un mot manuscrit du Général :
NOTE POUR
M. ALAIN PEYREFITTE
Il est inacceptable de hisser sur le pavois de notre télévision le nommé Schoenbrunn, qui est l'insolence américaine cajolée à Paris par ce qui reste de la IV e .
Il a dû m'écrire ce poulet dans la matinée. Puis, son irritation ayant encore monté, il m'a fait venir dans son bureau pour me confirmer ses reproches de vive voix...
« Votre rôle n'est pas de lâcher du pouvoir, mais d'en ressaisir ! »
Salon doré, vendredi 27 juillet 1962.
Pompidou m'a encouragé à revenir à la charge, en profitant de la mise en place de l'indépendance algérienne ; je le fais au cours d'une audience spécialement demandée à cet effet.
« La radio-télévision est victime d'un paradoxe, dis-je. Notre système cumule les inconvénients. Il tourne le dos à celui des démocraties et ressemble à celui des dictatures. Mais une dictature dont les détenteurs seraient bafoués par une fronde quotidienne. »
Le Général grommelle : « Vous croyez ça ? »
Ça commence mal. Je reprends mon souffle :
« Maintenant que les combats en Algérie ont pris fin, ne pourrions-nous en profiter pour donner à la radio-télévision un statut qui garantisse les droits de l'opposition et qui empêche à l'avenir tout gouvernement de se comporter comme Ramadier l'a fait envers vous ? »
Le Général a l'air interloqué : « Un statut, c'est la gauche qui réclame ça ! Pendant douze ans et demi, elle a eu le pouvoir et elle s'est bien gardée de faire un statut ! Et de quoi se plaindrait-elle ? Elle a bourré tous les étages de la RTF avec ses hommes, qui lui obéissent au doigt et à l'œil.
AP. — Justement, la rébellion des journalistes et réalisateurs contre l'État ne tient-elle pas au fait que nous n'avons pas trouvé le statut qui conviendrait ? Vous avez donné à la France une Constitution démocratique ; nous n'avons pas une télévision démocratique. Il faudrait instituer des mécanismes qui permettent d'établir l'impartialité, l'objectivité, la neutralité des informations, le pluralisme des débats ; mais aussi des règles qui soient observées, une hiérarchie qui soit obéie. Vous qui avez eu le courage d'imposer une politique libérale pour décoloniser l'Empire, pourquoi ne feriez-vous pas de même pour décoloniser la radio et la télévision ?
GdG. — Libéral, libéral ! Vous appelez libéral celui qui se prive de ses pouvoirs pour les remettre à d'autres qu'il laisse faire à sa place ? C'est ce que l'esprit du temps nous poussait à faire pour l'Empire. Il se trouve que c'était l'intérêt de la France. C'est pour cela que je l'ai fait. Mais, pour la RTF, c'est le contraire qu'il faut faire ! Il ne lui faut pas moins, mais plus d'autorité de l'État ! Votre rôle n'est pas de lâcher du pouvoir, mais d'en ressaisir ! Si vous voulez vous priver du peu de prérogatives que vous détenez, vous ne tiendrez plus rien !
« Dans le monde actuel, la radio et la télévision exercent une influence exorbitante. Elles pénètrent directement chez les gens. Une capacité aussi neuve, aussi éducative, aussi exceptionnelle, implique de grandes responsabilités. L'État doit en être le garant,de même qu'il est le garant de l'éducation nationale ou de la sécurité publique. Il faut faire échapper la télévision à des gens qui se la sont appropriée abusivement. Et vous vous imaginez qu'il faut la faire échapper à l'État, c'est-à-dire à la seule autorité qui a qualité pour faire prévaloir le bien public ? »
Le Général se lève. « Et puis, ce qui est plus important encore : la V e République, c'est l'accord direct du Président de la République et du peuple. Il faut que je puisse m'adresser aux Français autant de fois que c'est nécessaire, sans dépendre d'une quelconque féodalité, sans avoir à négocier avec qui que ce soit,
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