C'était De Gaulle - Tome I
favorise les tricheurs »
Au Conseil du 12 décembre 1962, Pompidou annonce les grandes lignes de ce qu'on aurait appelé autrefois son discours d'investiture et qu'on nomme aujourd'hui déclaration de politique générale. « L'économie est brillante, le budget sera équilibré sans nouveaux impôts. Si un effort supplémentaire devait être consenti, il devrait porter sur les revenus les plus élevés. Mais les prix sont fragiles, toujours susceptibles de se renverser. Il faut réorganiser le circuit de distribution. Il faut ouvrir sans cesse de nouveaux marchés pour nous mettre à l'abri de la récession. On constate en effet une baisse sensible des ventes. »
Au Salon doré, après le Conseil, j'essaie de provoquer un peu le Général :
« Tout de même, l'économie de marché, on n'a jamais rien trouvé de meilleur.
GdG. — Le marché, Peyrefitte, il a du bon. Il oblige les gensà se dégourdir, il donne une prime aux meilleurs, il encourage à dépasser les autres et à se dépasser soi-même. Mais, en même temps, il fabrique des injustices, il installe des monopoles, il favorise les tricheurs. Alors, ne soyez pas aveugle en face du marché. Il ne faut pas s'imaginer qu'il réglera tout seul tous les problèmes. Le marché n'est pas au-dessus de la nation et de l'État. C'est la nation, c'est l'État qui doivent surplomber le marché. Si le marché régnait en maître, ce sont les Américains qui régneraient en maîtres sur lui ; ce sont les multinationales, qui ne sont pas plus multinationales que l'OTAN. Tout ça n'est qu'un simple camouflage de l'hégémonie américaine. Si nous suivions le marché les yeux fermés, nous nous ferions coloniser par les Américains. Nous n'existerions plus, nous Européens. »
« Les patrons ne remuent ni pieds ni pattes »
Il s'arrête un instant, mais je sens qu'il va repartir sans que j'aie besoin de le pousser :
« Voyez cette exposition de Mexico dont Giscard vient de présenter le bilan. Il n'y avait aucun responsable français, même pas un journaliste français. Tout le monde s'en fout. Si nous n'étions pas là pour pousser l'épée dans les reins des patrons, ils se contenteraient du marché intérieur. D'eux-mêmes, ils ne remuent ni pieds, ni pattes. C'est plus confortable de continuer comme ils l'ont toujours fait, avec la clientèle française et, pour compléter, le pacte colonial. Ils n'ont toujours pas compris qu'il faut changer radicalement. Si l'État ne prend pas les initiatives nécessaires, rien ne bougera. »
Nouvelle variante du célèbre dessin de Faizant, après nos résultats désastreux aux Jeux olympiques de Rome, en 1960 : « Dans ce pays, si je ne fais pas tout moi-même... »
Chapitre 14
« LE PLAN, C'EST LE SALUT ! »
Conseil des ministres, 9 janvier 1963.
Décidément, Pompidou prend de plus en plus d'assurance.
Giscard relève avec satisfaction que « l'indice de la production industrielle de novembre 1962 est passé à 208, alors qu'il était de 193 en novembre 1961. Cette progression est due au travail de la population active ; il serait fâcheux qu'une baisse sensible de la durée du travail vienne le relâcher.
GdG (d'un air soupçonneux). — Pourquoi les importations ont-elles augmenté en novembre, et non les exportations ? »
Pompidou lance au Général un regard aigu. Il a tout de suite saisi que le ton de la question signifiait : « Pourquoi ne m'a-t-on pas signalé cet aspect inquiétant de la situation ? Pourquoi vouloir me berner en me présentant seulement le côté agréable des choses, et en me cachant le côté désagréable ? Heureusement que j'ai des collaborateurs directs, qui m'informent ! »
Giscard ne se démonte pas pour autant : « La progression des rémunérations entraîne un excès de la demande intérieure, d'où une poussée des importations.
GdG (l'œil fixé sur la ligne bleue de l'inflation). — Est-ce que ce n'est pas parce que nos prix augmentent, que nous avons plus de difficulté à exporter ?
Pompidou (vole au secours de Giscard, en répondant sèchement au Général). — Non, nos exportations ont augmenté aussi. Ce qui est nouveau et non prévu, c'est la poussée des importations. »
« Il va falloir quand même reprendre les choses en main »
Le Général, devant la vigueur de la réplique de son Premier ministre, fait machine arrière sur ce point, que son conseiller financier a dû lui signaler. Il reprend le problème de plus haut :
« On sera amené avant peu à
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