C'était De Gaulle - Tome I
Il a visiblement des idées en tête.
Au Salon doré, après le Conseil, il m'annonce son intention de faire trois discours. Le premier, sur les affaires internationales, pour tirer la leçon de la bataille que nous venons de gagner contre les Anglais et les Américains. Un autre sur la justice, quand on en aura fini avec tous les grands procès de l'OAS.
« Ensuite, un discours sur la situation économique, sur le Plan, sur la nécessité de s'en tenir rigoureusement aux objectifs qu'il a présentés, de ne pas dépasser le rythme d'augmentation des salaires prévu dans le Plan ; sans quoi nous croulerions cul par-dessus tête et tout serait remis en question.
« Entre chacun de ces trois sujets, il faudrait bien trois semaines ou un mois. Alors, je vais m'y mettre tout de suite pour avoir le temps d'échelonner. Mais ne l'annoncez pas encore.»
(Ni Pompidou ni Burin des Roziers n'ont entendu parler de ces trois projets de discours. Ils sautent au plafond quand je les en informe.)
AP : « Vous vous préoccupez de plus en plus des questions économiques et sociales ?
GdG. — Le Plan conditionne tout le reste. Je vais faire des réunions ici toutes les semaines. La première commencera demain avec les ministres économiques. Demain, j'étudierai les questions du Marché commun et, par la suite, nous étudierons les questions de prix et les questions économiques et sociales dans leur ensemble, toutes les semaines, dans les mois à venir. Cette question domine les autres, car nous ne pouvons pas avoir une politique indépendante et une défense indépendante, si nous n'avons pas une économie indépendante et des finances saines. C'est la condition sine qua non de l'indépendance nationale. Il ne faut donc pas que tout cela soit remis en cause par je ne sais quelle poussée des prix et des salaires qui ressemblerait à ce qu'on a connu si souvent sous la IV e République. Si on n'y fait pas attention, on va à la glissade.
« Le système représentatif ne tient pas »
« Il faut qu'on s'en tienne à un palier. Il faut remettre de l'ordre dans les prix et les salaires. Il faut empêcher tous les intermédiaires de faire des moulinets, ce qu'ils font d'une façon toute naturelle, car ils ne pensent qu'à leurs intérêts propres et jamais à l'intérêt général. Si vous les prenez chacun à part, ils comprennent très bien que l'intérêt général commande que les prix et les salaires ne s'affolent pas. Mais dès qu'ils sont avec leurs pareils, il faut qu'ils hurlent avec les loups. Personne n'a le courage de tenir le langage de la raison. Ce manque de réalisme des Français a quelque chose de confondant.
« En réalité, le système représentatif ne tient pas. On ne peut pas faire reposer entièrement la vie d'une nation sur des gens qui ne pensent qu'à se faire mousser auprès de leurs mandants, de manière à se faire réélire le prochain coup. Il faut avoir la tête bien au-dessus de tous ces remous misérables. Sinon, on est emporté. Les syndicats, c'est un système représentatif comme un autre. Il ne vit que par la surenchère. Il ne vaut pas mieux que le système parlementaire. »
1 Jacques Rueff, inspirateur du plan de redressement de décembre 1958, est resté un conseiller écouté du Général en matière économique et financière. En fait, c'est Jean-Maxime Lévêque, conseiller technique à l'Elysée pour les questions économiques et financières, qui avait attiré l'attention du Général sur le risque de voir compromis irrémédiablement le rétablissement de la stabilité de la monnaie, acquis à la faveur de la mise en application du plan Rueff de 1958.
2 Dont le commissaire général est Pierre Massé de 1959 à 1966.
Chapitre 15
« L'OPIUM DE L'INFLATION NOUS MENACE »
Au Conseil du 3 janvier 1963, Pompidou demande aux ministres de faire un effort de compression des dépenses de sept cents milliards. S'ils ne le font pas eux-mêmes, il réduira autoritairement des neuf dixièmes leurs demandes de dépenses nouvelles.
Giscard a murmuré : « Sept milliards.» C'est à peine audible, mais le Général l'a entendu. Son oreille est toujours aussi fine :
« Oui, renonçons, comme nous le demande le ministre des Finances, à parler d'anciens francs. Il faut employer la nouvelle terminologie. Il n'est pas plus légitime de penser en ancienne monnaie que de penser en IV e République. Nous n'avons pas seulement changé de chiffres. Nous avons changé de monde. »
Il tient à son
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