C'était De Gaulle - Tome I
Montréal en 1967.
GdG (comme piqué par un taon). — C'est essentiel ! Drapeau, le maire de Montréal, voudrait que cette exposition universelle se transforme ensuite en exposition permanente, comme celle de Leipzig. Il faut que la France, au cœur du Canada français, montre ce qu'elle est capable de faire. Songez-y dès maintenant. Les Canadiens français relèvent la tête et nous ne devons pas les laisser tomber. »
Le gouvernement a été censuré. Il est en sursis. Nul ne sait si,après la campagne électorale qui fait rage, il ne va pas être congédié, et de Gaulle avec lui. En tout cas, l'opposition le croit. Et pourtant, le Général se préoccupe de l'émancipation du Canada français, de la place de notre pavillon à l'Exposition de Montréal dans cinq ans, de la nécessité de développer à l'avenir notre commerce extérieur, de l'opportunité de reconnaître la Chine...
Sur le moment, cela nous donnait une impression surréaliste. Vu d'aujourd'hui, et quand on songe au discours qu'il prononcera cinq ans plus tard au balcon de l'hôtel de ville de Montréal, c'est la continuité du dessein qui étonne, ou la capacité d'anticipation.
« À quoi devons-nous l'expansion ? Au Plan »
Au Conseil du 7 novembre 1962, Giscard : « L'indice de la production industrielle est passé à 203 en octobre 1962, c'est-à-dire qu'il a plus que doublé depuis 1952, où il était à 100. Il y a eu 100 % de croissance en dix ans.
GdG. — À quoi devons-nous cette expansion ? Au Plan. »
(C'est ce qu'on nous enseignait à l'ENA après la guerre. Mais est-ce toujours vrai ?)
Pompidou hoche la tête comme s'il n'était pas convaincu, mais ne dit mot.
Au Conseil du 7 décembre 1962, Giscard : « Le découvert de 1962 est de 7 milliards. L'expansion économique a entraîné d'appréciables rentrées fiscales. Les plus-values sont de 3,1 milliards. Pour la quatrième année consécutive, le découvert aura été maintenu soit au-dessous, soit au niveau de 7 milliards. »
Malraux proteste : « Les ministres reçoivent le matin des propositions d'économies, ils doivent les accepter avant midi. Ça n'a pas beaucoup de bon sens. Qu'il faille faire des économies, personne ne le conteste, mais qu'on donne au moins aux ministres le droit de proposer la nature des économies auxquelles ils sont contraints !
Pompidou (un sourire au coin de la lèvre). — Et si un ministre n'est pas à son bureau de toute la matinée, comment peut-on faire ? »
Pompidou n'a pas résisté à la tentation de lancer une pierre dans le jardin de Malraux et de montrer à tous qu'il surveille chacun. Joxe, à tort, se sent visé et proteste, furieux : « Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? » Mais l'observation de Pompidou s'adressait bien à Malraux, qui, de notoriété publique, reste le matin, en période d'écriture, chez lui à « la Lanterne », et ne vient au bureau que l'après-midi.
Pompidou : « J'ai communiqué dans l'après-midi de mercredi aux ministres les propositions de coupes, en leur demandant de donner leur avis rapidement. J'ai demandé à Boulin de prendre l'attache de tous les ministres pour voir s'ils acceptaient ; j'ai offert de trancher les différends dans la journée de jeudi. Tout s'est passé par coups de téléphone. Quand on n'a pas rappelé, j'ai considéré que l'accord était acquis. Il fallait bien arrêter le collectif. »
Malraux reprend la parole, d'une voix rauque : « 1) Des économies à faire, ça ne se discute pas. 2) Les délais d'urgence, ça ne se discute pas non plus. 3) Mais pour la répartition des économies, je demande que nous soyons, chacun, libres d'en décider.»
Le Général, comme chaque fois que Malraux est en difficulté, est attentif à voler à son secours : « Ne pourrait-on pas autoriser le ministre d'État à faire des virements à l'intérieur de son budget ?
Giscard. — Bien sûr, ça va de soi, comme pour tous les ministres. »
La sollicitude du Général se retourne contre Malraux, puisqu'elle administre la preuve que l'intervention de celui-ci était sans objet.
Pourquoi Pompidou a-t-il été aussi mordant envers Malraux en plein Conseil ? Mystère. Ce qui paraît certain, c'est que, voici deux mois, il n'aurait jamais pris le risque d'égratigner ainsi l'idole du Général — le Général ne le lui aurait pas pardonné. Mais, après la crise de cet automne, il a pris beaucoup de confiance en soi.
« Le marché oblige les gens à se dégourdir, mais il
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