C'était De Gaulle - Tome I
sommes pas une dictature »
AP. — La "paix des braves" et le "drapeau blanc" ont été interprétés par les Algériens comme une sommation d'avoir à se constituer prisonniers et un refus de décoloniser.
GdG. — C'était le drapeau blanc des plénipotentiaires, ceux sur lesquels on ne tire pas parce qu'ils viennent négocier... Et vous croyez que je pouvais faire du jour au lendemain ce que je voulais ? Il fallait faire évoluer peu à peu les esprits. Où en était l'armée ? Où en était l'Assemblée ? Où en était mon gouvernement ? Où en était mon Premier ministre ? Nous ne sommes pas une dictature. Les gens sont longs à renoncer à leurs préjugés. Ils ne comprennent que très lentement ; surtout ceux qui croient tout savoir. »
Il regarde les frondaisons du parc, où déjà les feuilles jaunissent.
GdG : « Le drame algérien, il ne se confine pas à l'Algérie elle-même, ni aux rapports entre la France et l'Algérie. Il affecte les Français eux-mêmes. Il pourrit tout en France. Et il mine la situation de la France dans le monde. »
Il doit penser : « Vous croyez que c'était digne de la France, de se maintenir par la guerre et par la torture ? » Pourtant, il ne le dit pas. Il ne veut pas avouer, mais il laisse deviner, qu'il lui faut sans cesse manœuvrer pour apprivoiser les militaires, les pieds-noirs en Algérie, les conservateurs en métropole, et les amener à accepter l'évolution inévitable ; quitte à les amuser avec des leurres.
« L'autodétermination , piège à cons »
AP : « Que va-t-il sortir de l'autodétermination ?
GdG. — Ce sera un piège à cons.
AP. — Mais qui seront-ils ?
GdG. — Le FLN, s'il refuse de négocier. Les pieds-noirs, s'ils refusent de jouer le jeu, alors qu'ils peuvent prendre une place essentielle dans l'Algérie, une fois la paix revenue.
Il se lève. « Nous ne pouvons pas tenir à bout de bras cette population prolifique comme des lapins, et ces territoires énormes. C'est une bonne affaire de les émanciper. Nos comptoirs, nos escales, nos petits territoires d'outre-mer, ça va, ce sont des poussières. Le reste est trop lourd. Les populations sont prises dans la masse de l'ensemble arabe en Afrique du Nord, de l'ensemble noir au sud du Sahara. Comment voulez-vous que les unes se gouvernent librement et les autres pas ?
« C'est un terrible boulet. Il faut le détacher »
« Tant que nous ne nous en serons pas délestés, nous ne pourrons rien faire dans le monde. C'est un terrible boulet. Il faut le détacher. C'est ma mission. Elle n'est pas drôle. Mettez-vous à ma place ! Je ne fais pas ça de gaieté de cœur. Mais c'est peut-être le plus grand service que j'aurai rendu à la France. Les années passent. Nous n'avons plus le temps d'attendre. Et je ne suis pas immortel. »
Il laisse sa main sur la poignée de la porte.
« Enfin, puisque vous allez à l'ONU, vous ne vous embarquez pas sans biscuit, avec l'autodétermination. Ces gens-là ne peuvent pas y être hostiles. »
Il me tend cette main dont la pression si légère contraste tant avec son personnage volontaire :
« C'est comme à la chasse, je ne vous dis pas bonne chance. Vous viendrez me raconter, quand vous serez revenu. »
De mars à octobre : en six mois, l'accent s'était déplacé des difficultés de l'intégration à l'impérieuse nécessité de la désintégration ; de l'impossibilité de l'Algérie française à l'obligation de l'Algérie algérienne. Une seule question subsistait : « Comment s'en débarrasser ? »
1 Comme rapporteur pour l'Outre-Mer du « Parlement européen » (ainsi se nomme-t-il, encore que cette appellation, qui ne figure pas dans le traité de Rome, soit récusée par de Gaulle).
2 Comme membre de la délégation à l'Assemblée générale des Nations Unies.
3 Devenu Zaïre depuis 1966.
4 Devenues respectivement Kinshasa et Lubumbashi.
5 Tel est le terme dont il usait parfois, comme Schweitzer... ou Montesquieu.
6 Raymond Cartier, éditorialiste à Paris-Match, défend depuis 1955 l'idée que, les colonies coûtant beaucoup plus cher qu'elles ne rapportent, il vaut mieux s'en retirer et garder nos investissements pour nous. M e Tixier-Vignancourt, candidat à l'élection présidentielle en novembre 1965, devait résumer cette thèse par la formule : « La Corrèze avant le Zambèze . »
7 De Gaulle avait annoncé le 16 septembre 1959 que la France accordait l'autodétermination à l'Algérie.
Chapitre 8
« ON N'INTÈGRE
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