C'était De Gaulle - Tome I
ensemble, amener leurs gouvernants légitimes à se concerter, et, un jour, à se confédérer, c'est-à-dire à mettre en commun certaines compétences, tout en restant indépendants pour tout le reste. C'est comme ça qu'on fera l'Europe. On ne la fera pas autrement.
« La quatrième idée, c'est que cette Europe-là prendra naissance le jour où ses peuples, dans leurs profondeurs, décideront d'y adhérer. Il ne suffira pas que des parlementaires votent une ratification. Il faudra des référendums populaires, de préférence le même jour dans tous les pays concernés. »
« Je suis amené à revenir sur l'accord »
Je me suis plongé dans les textes du Général précédemment publiés (y compris ses discours et messages du temps du RPF, introuvables, mais réunis en une brochure, depuis longtemps épuisée, sous le titre : La France sera la France ). De fait, ces quatre idées directrices se retrouvaient immuablement d'un texte à l'autre, comme des fils entrelacés.
« Il y aurait peut-être avantage à regrouper ces textes », m'avait-il dit. Ne pourrait-on pas le faire, sous l'égide de l'Union paneuropéenne, pour montrer la persévérance des convictions européennes de De Gaulle ?
Je m'en suis ouvert à Georges Pompidou. « Excellente idée, me dit-il. La façon la moins fatigante d'écrire un livre, c'est de faire une anthologie. Il suffit d'une paire de ciseaux et d'un pot de colle. J'en sais quelque chose 7 . Vous devriez faire ça chez Plon, qui a les droits sur les ouvrages du Général. Mais assurez-vous d'abord de l'accord de l'Élysée. »
J'ai soumis l'idée à René Brouillet, qui l'a soumise au Général et m'a donné son « feu vert ». Pendant plusieurs semaines, j'ai lu, choisi, annoté 8 . Bourdelle, le président de Plon, enthousiasmé par ce projet, a fabriqué une jolie maquette. Sur la couverture, on lit seulement en grosses lettres :
CHARLES DE GAULLE
L'EUROPE DES NATIONS
Sur la page de titre, on lit en outre, en petits caractères :
Textes choisis et annotés
par
Alain Peyrefitte
Comité français pour l'Union paneuropéenne.
Le tout forme un livre de quelque trois cents pages. Seule difficulté rencontrée : un texte de la période du RPF préconisait une « imposante fédération de peuples libres ». Cette notion était en contradiction avec la philosophie générale du projet. Je prie Brouillet de demander au Général, en lui présentant la maquette et la copie dactylographiée, s'il préfère maintenir ce texte ou le supprimer. Brouillet me rappelle : « Le Général est très content de votre travail et m'a demandé de vous en remercier vivement. De prime abord, il a préféré que le discours comportant le mot de "fédération" ne soit pas retenu, puisque votre choix de textes, de toute façon, n'est pas exhaustif. Mais il m'a dit qu'il y réfléchirait. »
Patatras ! Deux jours plus tard, René Brouillet me rappelle tristement : « Le Général a écrit une note en me renvoyant votre manuscrit. Je vous la lis, car la consigne est de ne pas laisser sortir de l'Élysée de notes manuscrites : Je suis amené à revenir sur l'accord que j'avais donné à M. Peyrefitte. Pas de publication .
— C'est sans appel ?
— Oh oui ! Tel qu'il est... Je ne crois même pas que vous trouveriez quelqu'un pour lui poser à nouveau la question. Et je ne vous conseillerais pas de le faire vous-même.
— Vous connaissez la raison de son refus ? Est-ce à cause du mot "fédération" qu'il ne veut ni supprimer, ni faire reparaître ?
— J'ignore ce qui s'est passé. Il avait l'air très content, avant-hier...»
Cette volte-face provient-elle de la notion de fédération, inopportunément utilisée un jour et sévèrement condamnée depuis lors ? Ou peut-être est-il devenu soudain sensible à l'inconvénient de donner aux uns l'impression d'une doctrine figée, aux autres l'occasion de dénoncer des contradictions — alors que son intérêt est de se garder les mains libres...
1 L'Union paneuropéenne, fondée en 1926 par Richard de Coudenhove-Kalergi, citoyen franco-autrichien, et le plus ancien mouvement militant pour l'idée européenne.
2 Ministre des Affaires étrangères néerlandais.
3 Ministre des Affaires étrangères belge.
4 En 1948, un congrès à La Haye avait donné naissance au Mouvement européen. Les plus importants des hommes politiques des démocraties occidentales s'y étaient réunis. La majorité des parlementaires, dans les pays concernés,
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