C'était De Gaulle - Tome I
sur les salaires, mais ils peuvent prendre des initiatives, en liaison avec les ministres de l'Industrie et du Travail ainsi qu'avec le Premier ministre ; c'est le jeu normal et souhaitable de la majorité.
« Les préfets, la direction des Charbonnages, les syndicalistes, FO en tête, étaient unanimes à dire : la réquisition sera obéie. C'était une porte de sortie, pour permettre aux mineurs d'obéir à la loi et d'écouter le gouvernement sans perdre la face. Mais les syndicats ont été dépassés par la base, qu'ils avaient tout fait pour exaspérer. La CGT n'avait pas d'argent et ne voulait pas la grève. La CFTC avait un trésor de guerre, et a trouvé là une bonne occasion de dépenser son argent. Quant aux ecclésiastiques, leur rôle est scandaleux : ils ont répandu des tracts, comme si c'était une vérité d'Évangile de revendiquer une augmentation de 11 %.
« On a déjà augmenté les mineurs de 8,02 % en huit mois. Si on en faisait partout autant, ça ficherait l'économie en l'air.
« Nous nous sommes fixés sur le principe de l'égalité, qui est un principe social, et non sur le principe de la productivité, qui est retenu pour EDF mais qui ne donnerait rien aux mineurs. Nous admettons le principe d'un certain rattrapage. Mais si les mineurs devaient rattraper la SNCF, on devrait faire un rattrapage de 25 %. Dans ce cas, tout lâche. Nous aurions un formidable surcroît de la masse monétaire. La IV e République est morte du 13 Mai, mais s'il n'y avait pas eu le 13 Mai, elle serait morte de la dégradation monétaire.
« Pour la réquisition, nous avons eu tort de réquisitionner trop tôt. On aurait dû laisser traîner quelques jours de plus. Mais il n'était pas possible de laisser sans réagir une grève illimitée paralyser l'économie du pays. La réquisition collective n'entraîne pas de sanction pénale sur chacun, mais une responsabilité morale pour l'ensemble des mineurs : il fallait qu'ils sachent qu'ils portent un coup très sérieux à l'ensemble de la vie nationale.
« La mutation des mineurs ressemble à celle des militaires. C'est à l'État de la conduire. Rien n'est aussi grave que de laisser bafouer l'autorité de l'État. Vous qui êtes gaullistes, sachez qu'aux yeux de De Gaulle, il n'y a qu'une chose à faire, c'est de tenir. Mais sans être provocant. Il faut avoir des conversations, tout en sachant bien qu'elles ne peuvent aboutir tant que les mineurs ne sont pas décidés à mettre les pouces. »
Pompidou : « Il faut que je prenne tout sur moi »
Après cette réunion, Pompidou me retient. Il marche de long en large dans son bureau ; je reste assis pour prendre des notes.
« Nous voilà dans une grande affaire. C'est la première crise dont j'aie à supporter le poids. Il ne faut pas qu'il retombe sur le Général. La guerre d'Algérie, l'autorité sur l'armée, la lutte contre l'OAS, la révision de la Constitution, c'était son affaire. Mais la grève des mineurs, ça ne peut être que la mienne. Il faut que je prenne tout sur moi, que tout soit centralisé à Matignon,qu'il n'y ait qu'une personne qui décide, moi, qu'une personne qui parle, moi, ou vous sur instructions de moi.
« Notre faiblesse, c'est la réquisition des mineurs. A-t-elle été faite pour humilier les mineurs ? Il est probable qu'il y a eu un malentendu dans l'entretien entre Bokanowski et les mineurs. Il devait les prévenir qu'on rouvrirait le débat en septembre, et les mettre en garde contre les risques d'une grève illimitée. Ils ont mal pris ces deux indications. Ils ont compris la première comme remettant la discussion aux calendes grecques, et la seconde comme une menace.
« La réquisition, c'est le respect de la loi. À plusieurs reprises, depuis la guerre, il a fallu que le Général impose le respect de la loi. La réquisition présentait pour eux un avantage moral : personne ne se déshonore en obéissant à la loi ; ils ne renonceraient pas à leurs revendications. L'intérêt national commande : après deux mois de froid, on va vers la pénurie. Dans le monde entier, le charbon manque. »
Il marche un moment sans mot dire, puis reprend :
« EDF empoisonne le climat des entreprises nationalisées. Les électriciens arrachent des "primes de froid", en douce, si ce n'est pas ouvertement. EDF fait des entourloupettes. C'est Marcel Paul 1 , à la tête de la CGT-EDF, qui a instauré ce système. Ils se prennent tous pour des ingénieurs électroniciens, ils croient
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