C'était De Gaulle - Tome I
à tout prix d'éviter que cette crise aberrante ne se prolonge. Le taux d'augmentation du salaire horaire est voisin de 10 % : c'est la course à l'abîme. Un coup d'arrêt était nécessaire. »
« La réquisition est une épreuve »
Le Général laisse le silence s'installer quelques instants. Puis, la tête haute, en regardant droit devant lui, il commence, et on comprend que ça va être du grand de Gaulle :
« L'évolution politique, économique et sociale à laquelle on assiste depuis quelques mois a fortement contribué à cette crise.
« Nous avons des recettes, à l'intérieur, venant du dehors. L'expansion se poursuit, tout le monde en reçoit les bienfaits. Il ne peut manquer d'en résulter un prurit, celui que donne la course à l'amélioration des conditions de vie de chacun. Tout le monde en veut plus, toujours plus.
« Nous devons savoir nous opposer à ce prurit, dès lors qu'il met en danger l'œuvre qu'on est en train d'accomplir. Le gouvernement doit donc être inébranlable.
« L'affaire des mineurs est grave. Elle doit être analysée sans complaisance.
« 1. Ils sont inquiets pour leur profession. Ils constatent qu'on n'embauche plus dans des charbonnages comme ceux de. la Loire ; que leurs frères ou cousins qui travaillent dans la métallurgie gagnent plus, toutes capacités étant égales d'ailleurs ; qu'il arrive de plus en plus de Marocains ; qu'à Decazeville, on ferme les mines ; que même dans le Pas-de-Calais, même dans le Nord, on restreint la production. Ils sont donc mélancoliques pour leur avenir collectif.
« 2. Les mineurs représentent une catégorie ouvrière pilote : ils travaillent dans les conditions les plus dangereuses, les plus méritantes. Ils ont un orgueil professionnel justifié. Si d'autres sont plus favorisés qu'eux, ils le ressentent comme une injustice. Ils réclament donc des augmentations, des prestations, des "rattrapages" pour rétablir la justice.
« 3. Il y a des manœuvres politiques. Les communistes ont manœuvré les mineurs. Ils n'ont pas voulu se mettre à la tête de la grève, mais ils ont pris le parti de la prolonger si la réquisition était prononcée. L'objectif qu'ils donnent ne concerne pas les rémunérations, il porte sur la durée du travail. Ils mettent sur leurs pancartes le slogan : "40 heures payées 48." Ces revendicationsont une énorme emprise sur la masse ouvrière des Charbonnages. Elles exploitent la frustration des mineurs, leur sentiment d'être incompris.
« La réquisition est une épreuve entre le parti communiste et le gouvernement. Les imbéciles suivent le PC, comme l'évêque d'Arras, la CFTC et Le Figaro. La réquisition a été faite. J'en prends la responsabilité. (Il a détaché les syllabes de cette phrase.) Si on ne l'avait pas faite, ça n'aurait rien changé ; les données étaient là, elles auraient joué de toute façon.
« La réquisition des mineurs, ça n'est pas la réquisition individuelle de quelques ingénieurs, comme à Lacq, ou de quelques techniciens, comme à la RTF ou à EDF. Ce n'est pas non plus une mobilisation militaire. C'est quelque chose d'hybride. Il s'agissait de requérir le travail de toute une corporation. Nous sommes responsables de l'intérêt général. Nous ne devions pas reculer devant une mesure de cet ordre. Dès lors que la grève se prolonge, elle porte atteinte à la vie de la collectivité nationale dans un moment difficile, à la fin de l'hiver, alors que les stocks sont épuisés.
« Le gouvernement, qui est responsable de la conduite du pays, se devait de requérir les services des mineurs, comme d'une profession nécessaire au travail et à la vie de la collectivité française.
« Il faut admettre, dans l'application, des retards et des difficultés »
« Son application ? Pour l'instant, ça ne peut pas donner grand-chose. Il faut admettre, dans l'application, de grands retards et des difficultés. C'est préférable, plutôt que des sanctions nombreuses et progressives pour refus de travail. Tout ça ne finira pas de sitôt. Ça aura des conséquences dans les autres services publics.
« Si le gouvernement s'en tient à une attitude raisonnable, s'il marque de la considération à l'égard de ceux qui travaillent, s'il montre qu'il agit dans l'intérêt de la collectivité nationale, s'il est inébranlable, ça nous coûtera plus ou moins cher, mais nous en sortirons.
« Nous ne sommes pas assez riches pour accepter de nous ruiner ; mais nous le
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