C'était De Gaulle - Tome I
difficile, me dit Zitrone comme pour m'encourager, vous allez travailler sans filet. Vous avez été annoncé partout, la France entière vous regarde. » Charmant !
Les nouveaux chiffres imaginés par Pompidou sont plus simples. Mais, à la différence de ceux qui ont circulé jusqu'àprésent, ils sont mal compris des spécialistes, à commencer par les syndicats, qui m'accusent d'avoir compliqué les choses : ce qui bouscule les schémas reçus paraît plus compliqué, tout en étant plus simple. Le spécialiste du Travail auprès du Premier ministre, que Pompidou avait oublié de prévenir, contredit péremptoirement mes chiffres et déclare d'autorité aux journalistes accrédités que je me suis embrouillé 2 . Je retourne dans le bureau de Pompidou, qui se refuse toujours à avoir la télévision, mais qui a écouté sur son transistor. Il me rassure : « C'est exactement ce qu'il fallait dire. Le ton y était. » Pourtant, il ajoute : « Je ne sais pas ce que ça donnait à la télévision, et c'est la seule chose qui compte. Mais, à la radio, c'était parfait. »
Si la télévision est la seule chose qui compte, pourquoi renâcle-t-il toujours à s'en pourvoir ?
Le lendemain 26 mars, réception à l'Élysée en l'honneur de Lopez Mateos, Président du Mexique. Pendant le défilé qui prélude au dîner, le Général me dit hâtivement, en me serrant la main : « C'était bien, hier soir. C'était clair, c'était ferme. Enfin, on verra ce que ça donne. »
Il n'en dit pas plus. Assez pour qu'on sente son inquiétude — malgré son désir de la dissimuler — et, aussi, son désir de conjurer le sort en évitant trop d'optimisme.
De fait, que dix minutes de télévision y aient été pour quelque chose ou pour rien, les gens comprennent beaucoup mieux. On a le sentiment que le malaise se dissipe. La faveur publique bascule.
Curieusement, cette simplification du problème, pour laquelle je n'ai été qu'un perroquet, et dont l'inventeur est Pompidou et lui seul, convient aussi peu aux syndicats et aux experts, qu'elle plaît visiblement à l'opinion — le seul terrain à intéresser le Général, qui jusqu'à présent l'avait senti se dérober sous son pied.
1 Secrétaire général de la Confédération générale des cadres (CGC).
2 Par la suite, ce conseiller technique du Premier ministre a été remplacé par Édouard Balladur.
Chapitre 6
« J'EMPRISONNERAIS LES MENEURS »
Avant le Conseil du 27 mars 1963, Pompidou me dit : « Il faut s'en tenir aux chiffres simples et incontestables que vous avez annoncés. À partir de janvier 63, ça fait 8 % d'augmentation, étalés jusqu'au 1 er octobre. Avec le rattrapage, ça va faire 12,5 % en un an, ce qui est énorme pour des Charbonnages qui accusent un gigantesque déficit.
« La mauvaise foi coule à flots. On nous sort maintenant des histoires de quatrième semaine dont on n'avait jamais parlé, et on en fait un prétexte de rupture. Les mineurs ont perdu par leur entêtement, en quelques jours de grève de trop. Ils ont eu tort de ne pas comprendre plus tôt qu'il fallait s'arrêter. Ils ont fait apparaître ce que vous avez révélé et qu'ils essayaient de cacher : que le charbon est beaucoup plus cher à la sortie des mines que si on le fait venir d'Amérique.
« J'ai dit aux syndicats : "Vous avez le choix de la présentation. Vous contestez les chiffres avancés par M. Peyrefitte ? Ils sont l'équivalent exact de ceux que nous utilisions auparavant. Chiche, choisissez vous-même ! Le gouvernement est solidaire avec les chiffres proposés." (Même en s'adressant à moi, il feint d'oublier qu'il est l'unique inventeur de cette mise en scène.)
« Les journaux ne parlent pas de la reprise de Lacq. Toujours de l'huile sur le feu pour l'attiser, jamais d'eau pour l'éteindre. »
« La diminution de la durée de travail est une augmentation de salaire »
Durant le Conseil, Bokanowski expose que les syndicats ont refusé nos propositions, soit sous la forme proposée dimanche, soit sous la forme présentée par moi lundi. Ils exigent la semaine de quarante heures et la quatrième semaine de congés payés.
« Pour EDF, le rapport Massé a fait ressortir une avance si l'on compte à partir de 1959, mais un retard si l'on compte à partir de 1957. Ces chiffres sont ambigus.
GdG. — Si vous contestez vous-même les chiffes de Massé, où allons-nous ? Ne pas en tenir compte a priori serait grave. Nous discuterons à partir de ces chiffres.
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