C'était De Gaulle - Tome I
passe, ils y perdraient leur argent. L'enthousiasme ne peut pas s'entretenir éternellement. La privation de salaire diminue la valeur de concessions de plus en plus problématiques à mesure que le vent tourne. Les mineurs commencent à se rendre compte que le temps travaille contre eux.
« L'État doit sortir vainqueur de l'épreuve. Il doit fournir la démonstration que l'intérêt de tous exige qu'il ait le dernier mot. Et il ne peut pas en être autrement.
« Alors, vous les verrez venir. Ils feront semblant de trouver toutes nouvelles les propositions que nous leur faisons, même si elles sont identiques aux précédentes.
AP. — Comment voyez-vous l'avenir de la profession minière ?
GdG. — Elle n'en a guère. C'est pourquoi elle s'est livrée à ce soubresaut, sans doute pour la dernière fois. Les mineurs savent que cet hiver glacial leur a probablement donné l'ultime occasion qu'ils avaient d'obtenir des concessions importantes du gouvernement. Des grèves comme celle-là ne peuvent pas recommencer avant plusieurs années. Et, dans plusieurs années, l'heure du charbon sera passée. Cette heure sonnait encore à cause d'un hiver spécialement rude. Ensuite, ce sera fini. Ils le devinent.
« Le problème est le même pour les Six du Marché commun que pour nous-mêmes. Marjolin 2 , qui est loin d'être bête, a fait un rapport intéressant. Il montre que, pour les six pays, le charbon est de moins en moins pratique, à mesure qu'il est remplacé par le gaz, par l'électricité, par le mazout, ou par le charbon d'URSS ou des États-Unis, qui vaut deux fois moins cher, rendu dans nos ports. Dans tous les pays du Marché commun, nous sommes obligés d'entretenir ces mines pour des raisons sociales, et aussi à cause d'habitudes économiques pesantes — sur lesquelles on ne veut pas revenir.
« C'est d'ailleurs la même chose dans la Ruhr, ou pour le minerai de fer de Lorraine. Toutes ces mines sont maintenant de mauvaise qualité. La minette de Lorraine ne vaut pas grand-chose en comparaison du fer de Fort-Gouraud ou du Gabon, qui va arriver beaucoup moins cher dans nos ports que sur le carreau de nos mines. Il faut bien continuer à l'extraire, sinon ce serait un tel drame ! Mais on ne fait que repousser le problème.
« Je ferais jouer l'article 16 si les communistes et quelques olibrius... »
AP. — Si les grèves ne s'arrêtaient pas, comptez-vous intervenir publiquement ?
GdG. — Si les grèves ne s'arrêtaient pas dans quelque temps, j'interviendrais. Mais rassurez-vous, elles s'arrêteront. Maintenant, elles ne peuvent plus ne pas s'arrêter.
AP. — Mais supposons qu'au contraire elles s'amplifient ? Que, la grève des Charbonnages stagnant, les grèves d'EDF, de la SNCF, de la RATP, d'Air-France s'ajoutent et paralysent toute l'économie française ? Alors, que feriez-vous ?
GdG. — Dans ce cas-là, ma tâche serait toute tracée ! Je parlerais. Mais j'agirais aussi ! Je ne me contenterais pas de paroles !
«Bien sûr, à la fin des fins, je ferais jouer l'article 16. Je dénoncerais l'assaut général, si les communistes et quelques olibrius, qui croient malin de se faire leurs complices, s'attaquaient à l'État. J'emprisonnerais les meneurs.
« C'est pour des circonstances comme celles-là que l'article 16 est fait. C'est pour des circonstances comme celles-là qu'il a déjà joué, et qu'il a rempli pleinement sa mission.
AP. — Mais ne craignez-vous pas la colère d'un peuple de travailleurs qui se croisent les bras ? Que peut-on faire contre des gens qui défient les ordres qu'on leur donne ?
GdG (après un soupir). — Si j'appelle le peuple de France en dénonçant l'assaut mené contre l'État, je crois que cet appel sera entendu. C'est l'État qui doit toujours sortir vainqueur. Sinon, il n'y a plus d'État, donc il n'y a plus de nation !
« Tout est tellement moins pénible, si l'on remet à plus tard la solution des problèmes, si l'on fait plaisir à tout le monde sur le moment, quitte à repasser le bébé aux successeurs ! C'était agréable, pour un gouvernement, de savoir qu'il était provisoire. On n'avait pas à se soucier de l'avenir. On était assuré de refiler à d'autres la responsabilité de payer les factures. (Il s'arrête un instant.) Oui, jusqu'au jour où ils ont tout de même été obligés de venir me chercher. »
1 Membre du bureau confédéral de la CGT.
2 Vice-président français de la Commission de la CEE.
Chapitre 7
« QU'ILS SOIENT
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