C'était De Gaulle - Tome I
des autres »
Matignon, vendredi 5 avril 1963.
Pompidou me demande de susciter une tribune libre, qui pourraitêtre de Maurice Lemaire 2 ou de Charles Morazé 3 et qui pourrait paraître dans Le Monde, sur cette grève qui a démontré que la pénurie de charbon ne se faisait pas sentir. Les mineurs ont prouvé le contraire de ce qu'ils voulaient : on peut se passer d'eux.
Il me raconte en riant qu'il a dîné hier soir avec une jeune femme qui lui a demandé : « Est-ce qu'il y aura assez de charbon pour nous faire les yeux ? » Marie-Antoinette et ses brioches vivent toujours parmi nous.
Il reprend son sérieux : « Avec le référendum d'avril 62, puis le référendum d'octobre et les élections qui ont suivi, nous avons fait du super-arrosage. Nous avons eu deux années sociales. Mais, de grâce, qu'on ne nous annonce pas une nouvelle année sociale pour 1964 ! La masse salariale du ministère des PTT, à effectif constant, a augmenté de 64 %. Ça n'est pas du social ? »
À l'issue du Conseil du 10 avril 1963 , je demande au Général s'il envisage toujours de parler au pays, comme il m'en avait annoncé l'intention ; puis il avait sursis à cause de la grève.
GdG : « Oui, à la fin de la semaine prochaine, jeudi ou vendredi. Je rappellerai que l'État a une vocation naturelle, qui est de satisfaire l'ensemble des citoyens et non pas quelques-uns au détriment de tous. Pour cela, il faut respecter le Plan qui est en cours. Il faut l'appliquer rigoureusement. Certains trouvent que le Plan va trop lentement et voudraient aller plus vite. Ils ont tort.
« Voyez-vous, c'est comme les ministres au sein du gouvernement. Pisani voudrait augmenter les crédits pour ses paysans, Fouchet en demande davantage pour ses enseignants, Jacquet pour les transports. Des sous ! Encore des sous. Ils en sont tous là, qu'ils soient ministres ou qu'ils soient mineurs. Ils se foutent éperdument des autres.
« On serait l'héritier de ses propres conneries »
« Nous sommes en pleine révolution. L'État a des obligations de plus en plus vastes. Les activités sont de plus en plus interdépendantes. Il y a fusion des anciennes classes sociales. Il y a accroissement des responsabilités des professions diverses à l'égard de la collectivité. Tout cela évolue très vite. Il est parfaitementnormal qu'au milieu de ces immenses changements, il y ait des tâtonnements et des heurts, et quelquefois des erreurs. Tout cela est inévitable.
« Il faut que le gouvernement soit mieux en mesure de juger. Pour cela, il faut qu'il soit informé. Il aurait fallu que l'administration soit en état de connaître exactement l'évolution des salaires dans les différents secteurs, ce qui n'était pas le cas avant le rapport Massé.
« Il faut ensuite que l'État soit en contact permanent avec les professions.
« Il faut enfin que les représentants des professions se dégagent de l'esprit d'opposition politique et n'appartiennent pas à une école partisane.
« Il faut enfin qu'au sommet, c'est-à-dire au Conseil économique et social, on procède à des débats beaucoup plus larges et beaucoup plus décisifs. Il faut que le Conseil économique et social devienne l'organe neuf où les gens s'expliquent sur l'élaboration et sur l'application du Plan de développement national. (Voilà le référendum sur le Sénat qui revient.)
« C'est commode, de se mettre bien avec tout le monde, sans se rendre compte qu'on prépare la chute pour un peu plus tard. Autrefois, on pouvait mener ce genre de politique. Aujourd'hui, on ne peut plus, car on sait qu'on est là pour longtemps et qu'on serait soi-même l'héritier de ses propres conneries. »
Pompidou : « L'opposition se sent plus forte dans le pays qu'à l'Assemblée »
Matignon, 23 avril 1963.
Pompidou, lors de notre conversation du matin : « À un prix qui n'est pas supérieur au prix des années précédentes, on aura liquidé le mythe du retard du secteur public. Mais il faut désormais rendre impopulaires les grèves et appuyer ainsi l'action économique du gouvernement. C'est une question d'information.»
Il est bien sur la même longueur d'onde que le Général. Je lui fais observer que les dégâts dans l'opinion demeurent profonds. Jean Stoetzel, le sociologue qui a fondé le Gallup français avant la guerre sous le nom d'IFOP — et qui, naguère, a été mon maître —, a demandé à me voir :
« C'est la première fois de ma vie que je demande audience à un ministre.
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