C'était De Gaulle - Tome I
apitoyer et jouer les bons offices. Ceux-là, il faudra les barrer à l'avenir, ils ont fait la preuve qu'ils ne tiennent pas le coup en cas de coup dur.
« Secundo : le Premier ministre peut se casser la gueule. Ça a failli m'arriver. Dans ce cas, j'aurais été remercié comme une bonniche. C'est Matignon qui doit jouer le rôle de cellule de crise — et de disjoncteur pour protéger l'Élysée.
Pompidou : « Si la succession avait lieu aujourd'hui, ça ne pourrait être que moi »
« Tertio : la grande faute a été la réquisition des mineurs. On m'avait démontré que c'étaient les mineurs eux-mêmes qui la souhaitaient, pour se dégager des pressions syndicales... Preuve dramatique que personne n'avait vraiment le contact ni avec les syndicats, ni avec la base. Il faut tout faire pour apaiser les masses qui peuvent faire courir des risques au régime, avant qu'elles ne se mettent en colère. C'était mon instinct. Le Général me poussait à l'intransigeance. Je ne me pardonne pas cette réquisition, qui a mis le feu aux poudres.
« Quarto : la seule question qui compte maintenant, c'est desavoir comment assurer la continuité du régime. Personne ne peut dire, à cette heure, si le Général se présentera ou non. Il ne le sait pas lui-même. J'essaie de le pousser à se présenter, il dit qu'il ne veut pas. Je suppose qu'il vous le laisse entendre à vous-même ? (Je reste muet. Je n'ai que des impressions, et qui vont dans l'autre sens ; je préfère les garder pour moi.) Mais, tel qu'il est, il ne peut pas dire autre chose. Il veut qu'on le supplie de rester. Si je ne le poussais pas, encore plus énergiquement que les autres, à se présenter, il en déduirait que j'ai hâte de prendre sa place. En tout cas, à supposer qu'il décide de se retirer, il faudra que nous fassions tous bloc sur celui qui sera le mieux placé pour gagner. Si je m'étais cassé la gueule avec les mineurs, ça n'aurait pas pu être moi. Si la succession avait lieu aujourd'hui, ça ne pourrait être que moi. Mais tant de choses peuvent se passer d'ici là, qu'on ne peut encore rien dire. Ce qui est sûr, c'est qu'il faut se préparer, comme dit le Général. (Il a dû lui dire : "Préparez-vous ! ")
« Quinto : aux élections législatives qui suivront l'élection présidentielle, il y aura, d'un côté, ceux qui auront soutenu le Président ; plus ceux qui se seront ralliés à lui, à la veille du second tour, les ouvriers de la onzième heure ; ou même le lendemain, les Thomas qui attendent d'avoir touché pour croire. De l'autre, ceux qui l'auront combattu. Une majorité aux contours nets se dessinera autour de lui. En face, la minorité formera l'opposition. La majorité présidentielle et la majorité législative se recouperont. Bien sûr, le Président devra se conduire en Président de tous les Français. Seulement, ce rôle, il ne pourra le tenir qu'en s'appuyant sur le socle d'une solide majorité nationale. Le Général a eu du mal à l'admettre, mais il s'y fait peu à peu. Son rêve unanimiste se dissipe, Dieu merci. »
« Il ne faut jamais se renier »
Salon doré, 24 avril 1963.
Avec le Général, même entretien qu'avec Pompidou sur les quatre hypothèses de Stoetzel. Réponse analogue : « La presse m'accuse d'avoir exigé la réquisition. On m'avait prétendu que les mineurs n'attendaient que ça pour reprendre leur travail. En fait, ça a galvanisé les oppositions.
« A partir du moment où c'était fait, c'était fait. Il ne faut jamais se renier. L'action comporte toujours, à court terme, des dommages dans l'opinion ; mais si on veut ménager la chèvre et le chou et danser d'un pied sur l'autre, les dommages, à long terme, sont bien pires, et irréparables.
« Voyez-vous, de 58 à 62, à cause de l'affaire algérienne, l'opinion ouvrière m'entourait de sa sympathie agissante, et j'osedire de son affection. Dans les manifs contre moi, suscitées par ceux qui trouvaient que je ne me précipitais pas assez vite dans les bras du FLN, il n'y avait pas d'ouvriers, il n'y avait que des pisseurs d'encre et de vinaigre.
« La classe ouvrière me suivait — car il y a encore une classe ouvrière, et notre grande affaire, dorénavant, sera de la faire disparaître.
AP. — Mais comment ?
GdG. — Par la participation. Nous en reparlerons... Les prolétaires, comme dit Thorez, adhéraient à ma politique par instinct. Ils surmontaient leur adhésion à des syndicats ou à des partis politiques qui
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