C'était De Gaulle - Tome I
seul dans ce cas. Je ne suis sorti de rien, ni de la France libre, ni de la Résistance, ni des combats du RPF. C'est justement pour ça que le Général m'a appelé. Ce qu'il attend de moi, c'est d'être l'anti-Debré. Debré a fait de la Résistance ; il a combattu dans les rangs du RPF ; il a été, au Conseil de la République et dans les meetings, le grand orateur de l'opposition à la IV e . Il est parlementaire jusqu'au bout des ongles. Il a sa doctrine, sa clientèle. Moi, je n'ai rien. Je suis totalement transparent. »
Palais-Bourbon, l'après-midi.
Ce qui fait, à en croire Pompidou, sa supériorité aux yeux du Général, est aussi ce qui le disqualifie aux yeux de beaucoup de gaullistes, à commencer par des ministres chevronnés qu'il a gardés dans son gouvernement : « Il y avait assez de combattants de la France libre, de la Résistance ou du Rassemblement 2 , pour que le Général n'aille pas chercher quelqu'un qui n'a rien fait de tout ça. »
Les ministres et les députés s'assoient à leurs bancs. Au moment de monter à la tribune, Pompidou, se trompant d'escalier, se dirige vers celui qui monte au perchoir du président. Un huissier le rattrape de justesse.
Il lit son discours d'une voix mal assurée, monocorde, avec des intonations râpeuses. À la suspension de séance, les impressions échangées dans le groupe gaulliste sont au-dessous du médiocre : « On va au désastre. »
1 Je pris donc l'habitude de passer le lundi après-midi avenue de Friedland — siège, depuis la guerre, du ministère de l'Information — et le reste du temps au « petit Matignon ». Je maintiendrai cette pratique jusqu'en 1964, où je regrouperai tout le ministère rue Barbet-de-Jouy.
2 Les fidèles du Rassemblement du peuple français aiment mieux le désigner par « le Rassemblement », que par le sigle RPF.
Chapitre 3
« POURQUOI CONTINUER À FAIRE L'EUROPE, SI ON N'ABOUTIT À RIEN ? »
Élysée , mercredi 18 avril 1962, 15 heures 30 .
Premier Conseil des ministres du premier cabinet Pompidou.
Le Général arrive dans la salle du Conseil, autour de laquelle nous attendons debout, à nos emplacements protocolaires. Notre caquetage s'arrête instantanément. Il fait le tour de la table en serrant silencieusement la main de chacun. Le Premier ministre, qui le suit, s'en abstient 1 . Il me dit en passant : « Vous avez le privilège de prendre des notes. Mais vous distillerez. Vous n'en direz pas le centième. »
Je me suis contenté de prendre l'essentiel des interventions de mes collègues, mais je consigne mot pour mot les interventions du Général. Celui-ci doit être pour quelque chose dans l'instruction que vient de me glisser Pompidou ; car, dès qu'il s'est assis et que nous avons suivi son exemple, il lui donne la parole : « Vous avez quelque chose à nous dire ? » Pompidou répète sous une forme négative ce qu'il vient de me dire : « Messieurs les Ministres, avant que ne commence ce Conseil, je vous rappelle, ou j'indique à ceux d'entre vous qui sont autour de cette table pour la première fois, qu'il est rigoureusement interdit de prendre des notes pendant le Conseil, à la seule exception du secrétaire d'État à l'Information et des secrétaires généraux 2 . D'autre part, les ministres ne doivent pas — en dehors, naturellement, des décisions arrêtées dans le domaine de leur compétence et à condition qu'elles soient effectivement arrêtées — faire de déclarations ou se laisser aller à des confidences sur ce qui s'est dit au Conseil. Seul le porte-parole est habilité à le faire, selon les instructions que lui donne le Général. »
De fait, les « quatre mousquetaires » qui font la pluie et le beau temps dans la classe politique — Jacques Fauvet du Monde, Jean Ferniot de France-Soir , Georges Altschuler d' Europe 1 et Bernard Lefort de Paris-Jour — m'ont raconté hier que, sous la IV e , ils attendaient dans la cour de l'Élysée la sortie du Conseil.Ils montaient chacun dans la voiture d'un ministre qui en était convenu avec eux, et qui leur racontait l'essentiel de ce qui venait de se passer. Ils se réunissaient ensuite pour confronter les confidences recueillies : « C'était le bon temps. Les ministres nous lâchaient tout ce que nous voulions. Maintenant, on fait des mystères de tout. Le Général ne sait pas ce que c'est que l'information. »
Je suis presque en bout de table, entre Joseph Fontanet et François Missoffe. Tout en gribouillant à la
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