C'était De Gaulle - Tome I
reparti. En effet, c'est ce qui est arrivé. Jamais, jusqu'à ma conférence de presse de mai 58, je n'ai eu droit à un micro ou une caméra 5 . Ça ne m'a pas empêché, d'ailleurs, de revenir aux affaires un peu plus tard.
« Seulement, on m'a prêté l'intention de faire ce qu'ils faisaient à l'époque et depuis toujours. Aucun des discours que j'ai prononcés — et Dieu sait si j'en ai prononcé, et non pas devant 300 personnes, mais devant 100 000, devant 500 000 comme à Vincennes... — n'a été reproduit, même pas par extraits ! Alors, ceux qui, à l'époque, trouvaient tout naturel de ne donner la radio qu'à Ramadier, poussent des hurlements si Defferre a ramassé 500 socialistes dans un coin et qu'on ne retransmet pas son discours intégralement à la radio !
« Mais je ne suis pas rancunier. Je ne demande pas que mes adversaires soient exclus des ondes comme je l'ai été ! La seule chose que je demande, c'est que ceux qui y jaspinent ne soient pas recrutés uniquement parmi mes adversaires. Ce dont je vous charge, c'est de nettoyer les écuries d'Augias. »
« Cette année sera celle du grand tournant »
Cette brève audience de prise de fonctions n'est pas propice à un débat. Elle n'est que l'occasion de recevoir ses premières instructions. Voilà qui est fait. Une chose est claire : pour les relations avec les journalistes, comme pour la radio-télévision nationale, je ne suis pas, mais pas du tout, sur la longueur d'ondes voulue par le Général.
Je hasarde pourtant : « Pour la première fois depuis vingt-trois ans, nous sommes en paix. Ne pourrions-nous pas en profiter pour passer d'un statut de la radio-télévision qui se justifiait en temps de guerre, à un statut correspondant à celui d'une démocratie en paix ?
GdG. — Ne vous imaginez pas que nous sommes en paix ! Les mois qui viennent seront durs, plus encore que les années que nous venons de vivre. Les flots vont se déchaîner. Vous croyez que le détachement de l'Algérie, qui vit en symbiose avec la France depuis cent trente ans, va se passer tout seul ? Vous croyez que vous allez vous trouver sur un lit de roses ?
« Et puis vous verrez, cette année sera celle du grand tournant ! Si nos adversaires, je ne dis pas s'emparent de la télévision, puisque c'est fait depuis longtemps, mais en restent maîtres, nous n'arriverons pas à surmonter la tempête ! »
Et il me congédie sévèrement.
Perplexité. Face aux « écuries d'Augias », suis-je de taille à être un Hercule ? Et quel est ce « grand tournant ? »
1 Ministre porte-parole du gouvernement dans le cabinet Debré.
2 Secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de l'Information.
3 Quand le président Georges Pompidou, le 2 juillet 1970, a employé ce mot dans une conférence de presse retentissante, il ne faisait, comme souvent les collaborateurs du Général, que reproduire une expression courante de celui-ci.
4 Ramadier exerça avec autorité ses fonctions de président du Conseil — le contraire d'une potiche.
5 Encore les images qu'on a pu voir de cette célèbre conférence de presse du 19 mai 1958, au Palais d'Orsay, étaient-elles dues à des télévisions étrangères. La RTF s'était vu interdire d'y envoyer micros et caméras.
Chapitre 2
« NE JAMAIS LAISSER APPARAÎTRE LA MOINDRE DIFFÉRENCE »
Matignon , mardi 17 avril 1962.
Pompidou me fait venir dans le grand bureau, ouvert sur le jardin, qui était celui de Debré. Quelle différence dans leur comportement ! Il ne reste pas derrière sa table de travail, comme son prédécesseur : il vient s'asseoir à côté de son visiteur, entre deux fenêtres, autour d'une table drapée. Au lieu d'un dialogue tendu, où les minutes comptaient, c'est une agréable conversation de salon, comme s'il avait tout son temps : « Demain, ce sera votre premier Conseil des ministres. Vous êtes le porte-parole du gouvernement, c'est-à-dire à la fois celui du Général et le mien. A l'issue du Conseil, il vous donnera ses instructions. Il vous appellera peut-être en cours de semaine pour vous en donner d'autres. Vous me verrez tous les matins et je vous donnerai les miennes. Vous serez entre l'arbre et l'écorce.
« Ça ne sera peut-être pas commode tous les jours. Mais ça ne devrait pas être une mission impossible. Il suffit que vous ne laissiez jamais apparaître la moindre divergence, je dirai même la moindre différence entre lui et moi. Il ne faut pas qu'on puisse glisser entre
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