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C'était De Gaulle - Tome I

C'était De Gaulle - Tome I

Titel: C'était De Gaulle - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Peyrefitte
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qui a souffert plus que d'autres et a dû relever deux fois ses ruines ? Ce qui est sûr, c'est que les seuls Rémois aperçus agitent des banderoles : « Vive la République démocratique allemande ! » « Pas de nazis en France ! »
    Le Général accueille le Chancelier à l'entrée du camp de Mourmelon, où flottent les couleurs des deux pays. Ils se serrent la main longuement. Sur cette plaine où l'herbe est rare, pèse bientôt un soleil de plomb. Nous saluons une pléiade d'officiers allemands, portant la même casquette, si haut crêtée au-dessus du front, et la même tenue feldgrau, que les officiers de l'armée d'occupation arboraient naguère dans nos rues. L'Allemagne nouvelle aurait quand même pu changer ses uniformes.
    De Gaulle et Adenauer, dans la voiture décapotable de l'Élysée, passent la revue des troupes. Puis ils viennent nous rejoindre sur la tribune et regardent un étonnant défilé franco-allemand 3 . La 11 e division légère d'infanterie marche au pas sous nos yeux, puis les Panzer-grenadiers de la 13 e brigade de Wetzlar. Cette alternance a quelque chose de bouleversant. Puis roulent des chars, tandis que la poussière monte du sol crayeux.
    Bien sûr, ce sont le soleil et la poussière conjugués qui nous font pleurer. Mais nos gorges se serrent pour une autre raison. Il y a si peu de temps qu'au cœur de cette même Champagne, les mêmes unités, face à face, commandées par des officiers portant la même casquette ou le même képi — peut-être les mêmes hommes avec moins de galons —, se livraient à des combats acharnés et à des poursuites sans merci, d'abord dans un sens, puis dans l'autre !Devant le déploiement de leurs drapeaux embrassés, leurs mouvements parfaitement synchronisés semblent irréels.

    Étrange audace encore, la messe solennelle qui suit immédiatement le défilé — avec un battement de quelques minutes, pour permettre au Général de troquer son uniforme kaki contre un costume noir.
    L'archevêque de Reims attendait les deux hôtes sur le parvis; il les conduit, dans la cathédrale bondée, jusqu'aux deux fauteuils qu'on a placés côte à côte dans le chœur. En son accent rocailleux du Rouergue, Mgr Marty s'adresse à eux: «La cathédrale de Reims vous accueille avec le sourire de son ange qui, par une attention de la Providence, a bravé toutes les destructions. »
    Deux prêtres assistent l'officiant: l'un ancien déporté, l'autre ancien prisonnier. Les deux chefs, côte à côte, de profil, sont comme transfigurés dans la solennité, lourde de mémoire, de ces voûtes, de ces vitraux, de ces grandes orgues, restaurés après que les Allemands les ont détruits.
    Adenauer communie. De Gaulle, non: en public, laïcité oblige. Adenauer, dont le pays a donné aux cultes un statut officiel, n'a pas de ces scrupules.
    Ils redescendent ensemble la nef, pendant qu'une chorale chante l'Alleluia de Haendel.

    Au moment de se séparer, à la fin du déjeuner à l'hôtel de ville, le Général salue le Chancelier comme si celui-ci avait été, d'un bout à l'autre de son voyage, submergé par la foule :
    « La visite officielle que vous achevez de nous faire est un acte capital et une grande réussite [...] Dans les rues et les avenues, a déferlé la vague des témoignages admiratifs qui se portaient massivement vers votre illustre personnalité. Vous avez vu se lever autour de vous cette cordialité, venue des profondeurs françaises, et qui, à travers vous, s'adressait à l'Allemagne d'aujourd'hui et de demain [...] Il était essentiel que l'âme populaire manifestât son approbation de ce côté-ci du Rhin [...] Il fallait que, chez nous, le sentiment public vous rendît hautement hommage. Cela est fait, d'une manière éclatante. »
    Ainsi en sera-t-il pour l'Histoire, puisque c'est écrit.

    Salon doré, 11 juillet 1962.
    Je fais remarquer en souriant au Général le contraste entre l'enthousiasme pour Adenauer qu'il a prêté à la foule dans son discours de Reims, et les rues désertes que le Chancelier a traversées.
    «J'ai toujours fait comme si, me dit-il. Ça finit souvent par arriver. »
    Cette phrase, je l'entendrai prononcer plus d'une fois.
    1 Cette affirmation, très répandue dans les années d'après-guerre, est vigoureusement contredite par Robert Rochefort (Robert Schuman, Paris, Éditions du Cerf, 1968 , pp. 31, 60. 177), Henry Beyer (Robert Schuman , Lausanne, Fondation Jean Monnet, 1986) et Raymond Poidevin (Robert Schuman,

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