C'était De Gaulle - Tome I
que, dans l'avenir et par-delà les hommes qui passent, la République puisse demeurer forte, ordonnée et continue. »
Ces termes m'embarrassent. Comment faudra-t-il les commenter? Je vais être sûrement assailli à leur sujet par les journalistes.
Quand il a serré la main des techniciens de la radio-télévision, je lui demande s'il me permettrait de l'accompagner dans son bureau, afin qu'il me guide sur les commentaires à émettre. Il a l'air surpris, mais, après une hésitation, me dit: «Suivez-moi.»Nous prenons l'ascenseur et un dédale de couloirs. Il me fait entrer dans le Salon doré.
« Ne faites pas d'exégèse »
Il s'assied derrière son bureau en vrai Louis-XV. Je m'approche de lui, le texte à la main, avec la gêne qu'on ressent dans un magasin quand on passe derrière le comptoir pour montrer un objet: il arrive que le vendeur vous rabroue et vous prie de repasser de l'autre côté. Le Général ne me rabroue pas: il est de bonne humeur. Mais il me désigne impérativement un des fauteuils.
GdG: « Qu'est-ce qui vous tracasse?
AP. — Je me demande comment répondre aux questions qu'on ne va pas manquer de me poser sur deux points qui me sont obscurs. D'abord, vous parlez de l'initiative que vous allez prendre pour " assurer que la République puisse demeurer forte, ordonnée et continue". On va évidemment me demander ce que signifie cette formule énigmatique. Ne faut-il pas laisser entendre que ce que vous envisagez, c'est un référendum pour l'élection populaire d'un Président?
GdG. — Gardez-vous-en bien! Que voulez-vous commenter? Il n'y a rien à ajouter à ce que je viens de déclarer. Je vous l'ai déjà dit, il faut que mon successeur dispose de la même autorité que moi, et, pour ça, il faut qu'il soit élu au suffrage universel. Mais ne faites pas d'exégèse! Ce texte se suffit à lui-même. Les gens comprendront ce qu'il faut comprendre. »
Pourtant, les gens ne comprendront pas. Personne, pas même le Premier ministre, ne dressera l'oreille à ces propos sibyllins — pas plus que la semaine dernière, à l'annonce que j'en avais faite, sur les instructions du Général. La légende s'instituera que l'attentat du Petit-Clamart fut à l'origine de l'élection du Président au suffrage universel. À ce jour, les livres sur de Gaulle qui font foi (y compris le livre posthume de Georges Pompidou, Pour rétablir une vérité ) datent de la fin août 1962, deux mois et demi plus tard, cette invention constitutionnelle 2 ...
« Je n'ai rien su de ce qui se préparait le 13 mai»
GdG : « Et quel est votre deuxième point?
AP. — Eh bien, l'entreprise d'usurpation venue d'Alger. Cette phrase, appliquée au 13 mai 1958, n'est-elle pas un peu abrupte? Ne vous reprochera-t-on pas de désavouer vos compagnons qui vous ont ramené au pouvoir?
GdG (sur le ton dont il m'aurait dit : " Mêlez-vous de ce qui vous regarde "). — Cette phrase est volontaire, figurez-vous! Je n'ai été pour rien dans l'insurrection d'Alger. Je n'ai rien su de ce qui s'y préparait avant le 13 mai : j'ai été informé de ce qui s'y passait comme tout le monde, par la radio. J'ai fait savoir le 15 mai, par un communiqué, que je me tenais à la disposition de la République. Mais je n'ai pas levé le petit doigt pour encourager le mouvement. Je l'ai même bloqué quand il a pris la tournure d'une opération militaire contre la métropole.
« J'ai fait en mai 58 ce que j'ai refait en avril 61 : j'ai sauvé la métropole d'une rébellion militaire, et donc de la guerre civile. Seulement, en avril 61, j'avais le pouvoir de commander à l'armée, et donc de me faire obéir. En mai 58, je n'avais aucun pouvoir ; ceux qui l'avaient, Gaillard d'abord, Pflimlin 3 ensuite, ont délégué tous leurs pouvoirs à Salan, qui venait de s'insurger contre eux; et Coty, chef des armées, n'arrivait à se faire entendre de personne. Les circonstances étaient différentes. La manière de faire ne pouvait pas être identique. En 58, il fallait bien que je finasse; en 61, je n'en ai pas eu besoin, j'y suis allé franco. Mais, dans les deux cas, quelques militaires ont fait cause commune avec les activistes d'Alger pour se rebeller contre le pouvoir civil, renverser le régime et imposer à Paris leur politique de têtes brûlées. Dans les deux cas, j'ai fait échouer la tentative. »
Guichard : « Chacun son boulot»
Ainsi, le Général accuse les militaires d'Alger d'avoir voulu usurper le pouvoir; alors que
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