C'était de Gaulle - Tome II
c'était à un contre vingt. Je répondrai sans doute à cette invitation, mais sûrement pas l'an prochain, je voyagerai bien assez comme ça. »
L'amour de l'Irlande est chez lui une tradition de famille. Tout jeune, n'a-t-il pas lu le livre que sa grand-mère de Gaulle consacra au héros de l'Irlande catholique, O'Connell 8 ? En tout cas, il me récite les données qu'il s'est mises en mémoire sur l'économie irlandaise, et conclut:
« Vous savez, l'entrée de l'Irlande dans le Marché commun, ce serait bon pour l'Europe et bon pour la France.
AP. — Pour des raisons historiques, ou politiques?
GdG. — Les deux ne font qu'un. Cet Aiken m'a glissé que l'Irlande, après avoir été coupée de l'Europe par les Anglais pendant sept cents ans, désirait fortement y être reliée. Les Anglais ont traité les Irlandais à peu près comme les Français du Canada, c'est-à-dire comme des sous-hommes. »
«L'Irlande n'est pas anglo-saxonne! »
Au Conseil du 17 juin 1964, Couve relate sa visite en Irlande, sympathique et positive.
Après le Conseil, le Général me prescrit:
«Montrez bien que nous ne confondons pas l'Irlande et la Grande-Bretagne. L'Irlande n'est pas anglo-saxonne! Elle a résisté à la pression anglo-saxonne au cours des siècles. Elle a sauvegardé sa personnalité.
AP. — Il peut y avoir une association de l'Irlande et du Marché commun?
GdG. — Ne vous avancez pas. Ça prendra forme peu à peu. Après, on verra. Mais enfin, il y aura un lien particulier entre l'Europe et l'Irlande. La France y est favorable. Il faut le dire.
AP. — Nous nous ferons les avocats de l'Irlande pour ce lien avec le Marché commun ?
GdG. — Oui. La France est favorable à l'organisation de liensentre l'Irlande et l'Europe. Il en sera probablement de même pour l'Espagne et la Grèce. Pourquoi l'Irlande n'entrerait-elle pas dans le Marché commun ? Elle n'a aucun besoin de l'Angleterre pour ça. S'il y a un parrainage que refuse l'Irlande, c'est bien celui des Anglais. »
Non seulement le Général barre l'entrée de l'Angleterre dans le Marché commun, mais il serait heureux de lui faire la nique en y faisant entrer l'Irlande.
Le Général ne trouvera pas le temps, pendant qu'il sera Président, de répondre à l'invitation de l'Irlande. Mais, après l'échec du référendum de 1969, c'est en Irlande qu'il ira ressourcer sa sérénité, dans cette nation indestructible, cette patrie de toutes les résistances.
1 Qui avaient obtenu respectivement: celui sur l'adoption de la Constitution de la V e République, le 28 septembre 1958, 79 % des voix; celui donnant pouvoir au gouvernement d'engager toutes initiatives pour l'autodétermination de l'Algérie, en janvier 1961, 75 % ; celui de ratification des accords d'Évian, en avril 1962: 93 %.
2 Le compromis de Luxembourg mettra fin, en janvier 1966, à la crise ouverte en juillet 1965 par de Gaulle, décidé à enrayer l'évolution du Marché commun vers la supranationalité. Quand un pays considérera une question comme essentielle, l'unanimité sera requise.
3 La France devait se retirer de l'OTAN en 1966.
4 « Il a renversé les puissants de leurs trônes et élevé les humbles » (verset du Magnificat, tirée de Luc I, 2).
5 31 juillet 1962. Cf. tome I, p. 295.
6 Les deux chefs de la résistance yougoslave, le colonel serbe Mihajlovic et le communiste croate Tito, s'affrontèrent dès l'automne 1941. Après avoir soutenu le premier, les Alliés accordèrent leur appui au second qui, en 1943, forma un gouvernement provisoire. Arrêté après la Libération, condamné à mort pour trahison, Mihajlovic fut fusillé en 1946, malgré les protestations des Occidentaux.
7 « Tu l'as touché jusqu'au fond de l'âme. »
8 Le Libérateur de l'Irlande, ou la vie de Daniel O'Connell, par Joséphine Maillot, épouse de Gaulle. Charles de Gaulle aurait lu ce livre avec beaucoup d'intérêt dès sa prime jeunesse. Il y aurait puisé les premiers ferments de l'esprit de résistance à l'oppression étrangère. Il ne m'en a pas fait confidence.
Chapitre 2
« L'EXCUSE À TOUTES LES LÂCHETÉS : L'EUROPE INTÉGRÉE»
Salon doré, 4 décembre 1963.
Je m'aventure à suggérer qu'il vaudrait mieux parler le même langage que nos partenaires européens, pour ne pas les heurter: « Il me semble que nous aurions tort de mettre les apparences contre nous en prenant des allures fendantes.
GdG. — Si! Il faut dire carrément les choses. Les apparences sont
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