C'était de Gaulle - Tome II
possibilité de jeu à la France. Jusqu'ici, le Général était très sceptique. Il se met, discrètement, à imaginer une ouverture.
Après le Conseil du 10 mars 1965, le Général me dit: « La rencontre de Wilson et d'Erhard ne pouvait servir à rien. Ce sont deux malheureux, qui n'ont à échanger que des souffrances. C'est ce qu'ils ont fait. »
« Les Allemands sont assommants »
Erhard, toujours à la recherche de son rôle de réunificateur de l'Allemagne, a imaginé de faire siéger les deux Chambres dans l'ancienne capitale. Les Russes ont vigoureusement réagi.
Au Conseil du 14 avril 1965, Couve : « Les Allemands n'avaient pas compris le risque qu'ils prenaient. Les Alliés l'ont compris: ils ne souhaitent pas qu'il y ait une réunion de la Haute Assemblée, le Bundesrat, à Berlin-Ouest, et qu'ainsi on aille, pas à pas, vers la transformation de Berlin en capitale fédérale, ce qui serait aux yeux des Soviétiques un changement inacceptable du statu quo. »
Salon doré, après le Conseil.
GdG : « Les Russes sont furieux de voir les Allemands réunir le Bundestag à Berlin. Alors, ils font des histoires. Si le Bundesrat en faisait autant, ils ne le toléreraient pas.
AP. — Nous non plus, nous n'étions pas chauds.
GdG. — Mais non, naturellement! Les Allemands sont assommants. Ils n'ont pas compris qu'ils ne pouvaient pas tout se permettre ! »
1 Pourtant, L'Humanité ne s'était pas trompée: il avait bien cité Pankow, à l'occasion de ses vœux du 31 décembre 1963, dans la liste des capitales de l'Est.
2 Le 21 octobre 1964 (voir supra, p. 265).
Chapitre 13
« LA COMMISSION VOUS ATTEND COMME UNE ARAIGNÉE DANS SA TOILE »
Salon doré, 27 janvier 1965.
Le Général me glisse: « La Commission Hallstein s'imagine que la France va être fragile, à cause de l'élection française. Elle veut nous faire des misères sur le Marché commun agricole et, au contraire, pousser les feux dans le sens de la fédération. Elle ne se rend pas compte que, si la France donne l'exemple, les autres États non plus ne seront pas prêts à se laisser transformer en provinces. Rira bien qui rira le dernier. »
C'est la première fois que je l'entends évoquer cette éventualité; et qu'il sent cette solidarité des États souverains, ce recul instinctif devant la mécanique supranationale...
Insensiblement, derrière les discussions sur le Marché commun, cette question du national et du supranational s'impose.
Walter Hallstein et la commission de la Communauté économique européenne, qu'il préside, entrent en conflit avec le gouvernement français à partir du début de 1965. D'abord, parce qu'ils ont un différend spécifique à propos du Marché commun agricole. Ensuite, parce qu'ils veulent accroître le rôle de la Commission et accélérer la marche à la supranationalité, alors que la France s'y oppose.
« Ils bombinent dans le vide comme la coquecigrue de Rabelais »
Conseil du 14 avril 1965.
Couve expose que, lundi, il a fait connaître la position française sur le problème posé par le règlement financier. Le Général prend alors la parole, et c'est une variation, dictée par ce nouveau sujet, sur l'air connu de la menace :
« Comment seront perçus, contrôlés, gérés, les prélèvements sur les importations agricoles ? C'est la question de fond. Oui ou non, acceptons-nous que l'administration de la Communauté, notamment en matière financière, soit en fait attribuée à la Commission de Bruxelles, et contrôlée par l'Assemblée de Strasbourg? L'accepter, c'est dépouiller les gouvernements de leurs prérogatives. C'est supranationaliser toute la CEE. C'est abandonner des fonds énormes à des organismes sans aucune responsabilité.
« À Bruxelles, ce ne sont pas des élus, ce sont des gens qui ne relèvent de personne. Ils n'ont que la responsabilité des proposqu'ils tiennent, ils bombinent dans le vide, comme la coquecigrue de Rabelais 1 .
« S'il n'y a pas de règlement financier, et si le Marché commun ne peut jouer au profit de l'agriculture, nous le regretterons, mais nous en prendrons notre parti. La France a vécu avant le traité de Rome et pourra vivre après sa mise en sommeil.
("Mise en sommeil" : l'expression n'est pas du gaullien flamboyant, mais elle est bien adaptée à ce qui pourrait être fait en pratique. Puis, sans transition, le Général passe à des observations de méthode.)
« Les réunions de ministres ont des ordres du jour tels, que
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