C'était de Gaulle - Tome II
d'être dépossédée de ses pouvoirs.
GdG. — Naturellement. Parce qu'il était entendu que la réunion des chefs d'État et de gouvernement se saisissait des affaires économiques comme des autres, et que le pouvoir échappait à la technocratie de Bruxelles pour revenir aux gouvernements.
« À partir de ce moment-là, on entrerait dans la lune »
AP. — Pour sortir de la crise, tout dépendra de l'Allemagne ?
GdG. — Ne nous faisons pas d'illusions. Pour le moment, l'Europe, on ne peut pas la rebâtir à neuf, comme j'avais essayé de le faire avec Adenauer. À cause des Allemands et de ce qu'ils sont devenus. Ils vont rendre la coopération politique de plus en plus difficile. Ils aspirent à l'arme atomique ; ils n'en font presque plus mystère. Ils aspirent à la réunification ; ils ne le cachent plus. Ils n'ont pas renoncé à leurs frontières à l'Est ; ils ne le cachent pas davantage. Trois convoitises, dont chacune pourrait être examinée s'il n'y avait pas les deux autres, mais qui, si elles sont rassemblées, sont incompatibles avec notre politique. Donc, la coopération politique avec l'Allemagne devient de plus en plus difficile.
« Alors, des malins comme Erhard essaient de maintenir unclimat doucereux jusqu'aux élections 3 , parce que ça ne ferait pas bien en Allemagne, si on disait que Bonn se séparait de Paris.
AP. — Mais votre conférence de presse de l'été interviendra avant les élections. Ça peut influer sur elles.
GdG. — Peut-être. C'est pas certain. Il n'y a guère de différence, sur la question du Marché commun, entre les CDU et les socialistes allemands dans leur façon de nous invectiver. Ça changerait si je disais que la coopération franco-allemande devient de plus en plus difficile, si je déplorais la manière dont Erhard l'a pratiquée, la façon dont Schröder se comporte, etc. Mais je ne le ferai pas.
AP. — Si vous voulez poser tous les problèmes en même temps, l'agriculture, l'avenir du Marché commun, la construction politique, la défense, la Force multilatérale, la coopération franco-allemande, etc., ça va être une formidable bagarre. On ne réglera jamais tout ça d'ici à la fin de l'année.
GdG. — Ce que je veux régler est très simple. À la faveur de la crise agricole, je veux écarter la disposition, qui est dans le traité de Rome, en vertu de laquelle, pas plus tard que le 1 er janvier prochain, les décisions sont prises à la majorité. Bien plus ; les propositions de la Commission, si elles ne sont pas repoussées à l'unanimité, s'imposent ! À partir de ce moment-là, on entrerait dans la lune. C'est impossible ! Nous ne pouvons pas admettre ça ! Comment un gouvernement français a-t-il pu l'admettre ? »
« Nous ne voulons pas que notre destin soit fixé par des étrangers »
« C'est pourquoi nous ne voulons pas que les décisions essentielles qui nous concernent soient prises par les autres, que notre destin nous soit imposé par des étrangers.
AP. — Alors, c'est une chance que nos partenaires n'aient pas accepté nos propositions financières ? Ils sont tombés dans un piège ?
GdG. — Piège, non. On ne leur a pas tendu de piège. Ils se le sont tendu à eux-mêmes. Mais cette fois, ils sont tous apparus de connivence, ils se sont tous entendus pour ça, obtenir la supranationalité, c'est-à-dire le fait que nous soyons à leur merci. Pour nous, c'est un prétexte inespéré. Nous allons nous en emparer pour leur dire : "Nous nous sommes aperçus que nous pouvions être victimes d'une coalition, ce que nous n'acceptons pas. Par conséquent, il faut modifier cette disposition, ou bien nous ne continuons pas."
« Ils se sont imaginé que nous allions admettre la chose explicitement, alors qu'elle ne figure qu'implicitement dans le traité de Rome. Ils ont cru que nous allions accepter les pouvoirs extravagantsde la Commission, et le budget fédéral, tellement nous désirions que le règlement financier agricole soit adopté. Ils ont cru nous attraper comme ça, et que nous aurions peur des paysans, ou de la prochaine élection, ou de je ne sais quoi — des histoires de la IV e .
« Vous n'avez qu'à voir ceux qui jaspinent dans les follicules, tout ce joli monde, ils l'ont très bien compris.
« Je ne peux pas discuter avec Hallstein ni avec Mansholt surtout après ce qu'ils ont dit. — Qu'on n'avait rien vu de tel depuis Hitler »
AP. — Et pour la Commission qui doit être renouvelée en janvier.
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