C'était de Gaulle - Tome II
de passer à la troisième étape, telle qu'elle est prévue dans le traité. Je ne serai pas l'homme qui aura accordé leur indépendance à nos colonies, et fait perdre son indépendance à la France ! Donner leur indépendance à nos colonies après les avoir hissées à peu près au niveau des temps modernes, c'était digne de la France, c'était conforme à sa vocation, c'était conforme à sa grandeur. Mais faire perdre son indépendance à la France, ce n'est pas compatible avec sa grandeur, ce n'est pas dans la vocation de De Gaulle.
« Ils vont tous finir par capituler »
AP. — Cette élimination du vote à la majorité, vous ne la prévoyez pas avant longtemps ?
GdG. — À mon avis, ils vont finir par capituler, tout en essayant de sauver la face. En tout cas, nous ne retournerons pas occuper notre chaise à Bruxelles après le 1 er janvier, tant qu'on n'aura pas trouvé une formule restituant le droit de veto pour une question essentielle.
(Et il veut faire croire aux Français qu'il n'a pas encore pris sa décision pour l'élection de décembre !)
AP. — Vous croyez qu'ils accepteront une révision du traité ?
GdG. — On ne sera peut-être pas obligé de faire une révision dutraité, avec signatures, ratifications et tout le saint-frusquin. Le mieux, ce serait un simple accord formel, comme d'ailleurs on en avait fait un à la demande des Allemands quand on a fixé le prix du blé d'après le projet Mansholt ; les Allemands avaient déclaré qu'ils n'accepteraient pas qu'on y revienne une fois que la règle de la majorité serait en vigueur. Et les autres avaient dit OK.
AP. — C'est un bon précédent, ça.
GdG. — C'est l'enfance de l'art.
(Manifestement, il a creusé la question et trouvé le biais.)
AP. — On peut toujours faire des déclarations interprétatives.
GdG. — Les Luns, ou Hallstein, ou Schröder, ou Fanfani, enfin les " européens ", comme ils disent, piquaient une lèche (tiens, comme Churchill à Roosevelt 1 ) à l'assemblée de Strasbourg. Ils voulaient augmenter les pouvoirs de cette assemblée, en même temps qu'elle serait élue au suffrage universel direct. C'est dans cet esprit qu'ils avaient fait le traité de Rome, en particulier la règle de la majorité, et la disposition qui fait que les États membres ne pouvaient amender qu'à l'unanimité les propositions de la Commission. Car tout ça était combiné pour couillonner les gouvernements. Tout ça a été fait par des parlementaires professionnels. Et puis ils lorgneront sur cette assemblée, parce que, s'ils se font battre à leur élection nationale, ils arriveront toujours à se raccrocher à ces élections-là. C'est là-dessus qu'ils vont se battre et qu'il faudra qu'ils se rendent.
« Ils espèrent que je serai remplacé par quelqu'un de plus coulant »
AP. — Mais le gouvernement allemand, après les élections de cette semaine, risque d'être encore davantage dans la main des parlementaires qu'il ne l'était avant.
GdG. — C'est possible. Mais comme, finalement, les Allemands ne peuvent pas supporter une situation dans laquelle il n'y aurait plus de Marché commun, ils finiront par reculer. Ils sont maintenant placés devant leurs problèmes. Ils voient que l'Est se rapproche de nous. Ils sont encerclés. (Le vocabulaire du colonel de chars lui revient.) Et ils ne peuvent pas supporter, ni même imaginer, que nous les larguions et que nous leur disions : "Allez vous faire foutre ! " Le prochain Chancelier, que ce soit Brandt, ou Erhard, ou Schröder, à peine sera-t-il installé, qu'il viendra à Paris pour arranger les choses.
AP (pensant à notre élection). — Seulement, cette conversation ne pourra pas se nouer avant décembre. Ce qui serait ennuyeux, c'est qu'en attendant, les paysans bougent contre nous.
GdG. — Qu'est-ce que ça veut dire : "que les paysans bougent" ? Il y a 9 millions de Français qui vivent de la terre et là-dessus, 9 000 qui font des manifestations. Un sur mille, autant dire rien. Et encore, toujours les mêmes. Tout ça, c'est pour les journaux.
AP. — Maurice Schumann annonce que Spaak va prendre des initiatives pour le déblocage du Marché commun.
GdG. -Après l'élection présidentielle en France, il y aura des initiatives de toutes parts. Ils attendent l'élection. Ils espèrent que je serai remplacé par quelqu'un de plus coulant. Je reconnais que ce n'est pas difficile à trouver. »
« Ce qu'on raconte n'a aucune importance. Ce qui compte,
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