C'était de Gaulle - Tome II
poursuit une politique des revenus, de portée sociale. »
Voilà les choses remises en place. Pisani n'est pas le seul « social », le seul à « parler de cœur ». Pompidou décide même à lui tout seul, par un bout de papier au ministre de l'Information, le contraire de ce que le Président de la République et le gouvernement viennent de décider collégialement, à savoir que le SMAG neserait pas augmenté tant que les prix agricoles ne le seraient pas. Les « souliers vernis » ont fait merveille.
Je n'évoque pas le sujet avec le Général pendant notre tête-à-tête, de crainte de susciter un contrordre, et j'informe la presse conformément aux indications de Pompidou.
Dans l'après-midi, pas de coup de téléphone de Giscard : il a dû croire que le Général avait finalement tranché dans le sens contraire à la délibération. Comme nous tous, il a lu sur le visage du Général que la bouffée de colère de Pisani l'avait ébranlé : pourquoi refuser aux ouvriers agricoles, souvent misérables, ce qu'on accordait aux ouvriers de l'industrie ?
« Nous, nous sommes écrasés par notre agriculture »
Salon doré, 28 juillet 1965.
GdG : « Voyez-vous, nous avons affaire à des partenaires qui ne sont pas sur le même pied que nous, sur le plan mondial, mais même au point de vue économique, notamment agricole. Je ne parle pas de l'Italie, qui est également un cas particulier. Mais voyez l'Allemagne et la Hollande, qui sont importantes, l'Allemagne très importante, et même la Hollande, qui n'est pas négligeable. Elles n'ont pas, ou ont beaucoup moins que nous, une agriculture qui pèse sur elles. Les Hollandais ont une agriculture très bien organisée, qui fonctionne très bien. Les Allemands ont une agriculture qui ne les gêne guère ; ils se nourrissent pour 50 % avec des produits qu'ils achètent au-dehors, en contrepartie des produits industriels qu'ils exportent.
«Mais nous, nous sommes écrasés par notre agriculture. D'abord, par le fait que nous ne mangeons que ce qu'elle produit, ou à peu près; donc, notre industrie ne peut pas vendre ses produits manufacturés à des pays qui ne pourraient les payer qu'en échange de leurs produits agricoles. Et d'autre part, nous avons une agriculture très arriérée. Elle n'avait pas changé, en grande partie, depuis le Moyen Âge. Il nous faut la transformer à grands frais, avec le remembrement, avec le FORMA, avec les SAFER pour racheter les propriétés, etc., etc., toutes ces structures coûteuses dont les autres n'ont pas besoin.
« En outre, nous avons un aménagement du territoire. Il n'y en a pas en Allemagne, elle n'a pas de régions qui soient un désert. Tout est plat ou presque; il y a des communications partout, fluviales, ferroviaires, routières, des accès partout, des industries partout. En France, une partie considérable du pays est isolée, reléguée. Alors, ça nécessite un effort énorme pour arriver à désenclaver tout ça.
«Par conséquent, quand nous construisons une communauté économique, autrement dit quand nous établissons une concurrence tous azimuts, si nous n'avons pas obtenu certaines compensations,et en particulier de nous débarrasser d'une partie du poids de notre agriculture, eh bien, nous ne pouvons pas tenir, et nous serons submergés.
« C'est pourquoi nous ne voulons pas que les décisions qui nous concernent soient prises par les autres, que notre destin soit fixé par des étrangers. Nous n'acceptons pas de nous faire imposer des décisions contraires à nos intérêts primordiaux. »
« Rien n'empêchera que nous étions un pays avant tout agricole qui devient avant tout industriel »
Conseil du 15 septembre 1965.
Pisani dresse une vaste fresque : « L'agriculture française est inquiète. Elle avait l'habitude de dominer politiquement le pays. Une grande partie de l'Assemblée et la quasi-totalité du Sénat étaient à sa dévotion. Elle se fait mal à cette mutation. 130 000 personnes actives quittent l'agriculture chaque année. Les paysans ont le sentiment angoissant qu'ils sont en train de vivre leur mort.
GdG (à Pisani). — L'évolution de l'agriculture est en cours. Vous y avez personnellement et efficacement contribué.
« Rien n'empêchera que nous étions un pays avant tout agricole, qui devient avant tout industriel. Rien n'empêchera que cette évolution de la société française ait des conséquences, notamment sociales. Il faut que les paysans en prennent leur parti.
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