C'était de Gaulle - Tome II
doit se faire comme s'il ne s'était rien passé." Évidemment, en un jour pareil, je ne lui ai pas dit : "Non, n'y comptez pas. C'est d'abord à vous de venir à Paris et je ne me déplacerai pas tant que vous ne serez pas d'abord venu me faire visite." Mais je n'ai pas été très engageant.
« Il faut donner une leçon à ce type-là »
« Je n'aime pas qu'on me force la main. Il faut donner une leçon à ce type-là. Johnson a fait ses débuts en commettant une gaffe.
AP. — Kennedy se serait sans doute exprimé avec plus de nuances. Il était prudent et avait la pratique du pouvoir.
GdG. — Non, ce n'est pas ça. Kennedy, pendant trois ans, avait appris à qui il avait affaire. Quand il parlait avec moi ou de moi, il savait à quoi s'en tenir. Johnson n'a pas encore compris. Il faut luiapprendre : il n'y a pas de raison de reculer devant la publication d'un texte.
AP. — Sous quelle forme voyez-vous cette mise au point ?
GdG. — Faites-vous donc poser une question. Vous donnerez une réponse conforme à ce que j'ai préparé et que voici. (Il me tend un papier écrit de sa main, tout raturé.)
AP. — Si vous souhaitez que je reproduise ce texte intégralement — et ce serait peut-être préférable, étant donné son importance et le soin que vous avez pris à le corriger — il vaudrait peut-être mieux que je le présente honnêtement comme un véritable communiqué, non pas comme une réponse improvisée par moi.
GdG. — Ah bon ! Si vous voulez. (Quand on invoque l'honnêteté, le Général s'incline toujours.) Faites comme vous l'entendrez. (Après un temps d'arrêt.) Mais alors, si ça doit être un communiqué, rendez-le-moi ; il faut que je le relise. »
Le Général le modifie encore : « a eu avec le Président Johnson une assez brève conversation d'ordre politique », au lieu de : « a pu s'entretenir un moment avec le Président Johnson ». L'expression « a pu » suggérait que Johnson lui avait fait la grâce d'un entretien. Dans ma bouche, elle aurait été mise au compte de ma maladresse. Dans un communiqué du Général, c'est différent.
« Un cow-boy radical »
AP : « Qu'avez-vous pensé de Johnson ?
GdG. — C'est un radical de la III e ou de la IV e .
AP. — Debré, lorsqu'il était Premier ministre, l'avait reçu à déjeuner et nous avait dit de lui, après l'avoir raccompagné : "C'est un cow-boy radical."
GdG (d'abord un peu contrarié, comme s'il lui déplaisait d'être pris en flagrant délit de semi-plagiat, mais vite souriant). — Un cow-boy radical, cette formule est tout à fait juste. Pour lui, l'histoire se réduit à des combinaisons de couloirs. C'est une sorte d'Hippolyte ou de Théodule américain. Kennedy était un homme d'une autre envolée. La politique américaine va retomber au niveau de la politicaille.
AP. — Comme candidat démocrate, peut-être devra-t-il céder la place à Bob Kennedy ?
GdG. — Si les élections avaient été rapides, l'émotion du peuple américain à chaud aurait été favorable à un Kennedy. Mais, dans un an... Tout dépendra de la façon dont Johnson se tiendra à son poste.
« Notre force atomique , c ' est le starter »
AP. — Pensez-vous qu'une réorganisation de l'Alliance atlantique sera plus faisable avec Johnson qu'avec Kennedy ?
GdG. — Il faut distinguer l'Alliance et l'organisation de l'Alliance.
« L'Alliance continue d'être nécessaire, sans aucun changement. Si la France est attaquée, il est certain que les Américains interviendront. Mais quand et comment ? Leur intérêt peut ne pas coïncider avec le nôtre. L'Alliance ne les oblige pas à être à nos côtés tout de suite, avec tout leur poids et toutes leurs armes. C'est pour ça que notre force atomique est nécessaire. C'est une force de déclenchement et d'entraînement. C'est le starter. Inversement, si les États-Unis sont attaqués, nous serons à leurs côtés. L'Alliance jouera de toute façon. Mais elle jouera plus ou moins — et c'est pourquoi nous devons être capables de commencer à nous défendre par nous-mêmes.
« Et puis, il y a l'organisation de l'Alliance, c'est-à-dire l'OTAN. Eh bien, j'en suis sorti, pratiquement. Nous en avons retiré toutes nos forces navales, la plupart des forces terrestres, à peu près toutes nos forces aériennes. Et bien entendu, notre force de dissuasion en formation. Nous avons notre armée à nous, ne dépendant que de nous. Ce que nous avons laissé dans l'OTAN, c'est à titre
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