C'était de Gaulle - Tome II
l'autorité d'un gouvernement sont plus appropriées que l'instabilité de nos démocraties occidentales. Il faut et il suffit que le régime respecte peu ou prou les droits de l'homme et surtout la dignité du peuple. Quant à nos manies formalistes, elles ne sont pas faites pour ces pays-là.
« Le Mexique est conduit depuis trente ans par un parti unique, le "Parti révolutionnaire institutionnel", tout en ayant les apparences d'une démocratie. J'ai l'impression que ce parti-là est de plus en plus institutionnel et de moins en moins révolutionnaire. Et même, je crois bien qu'il n'est plus révolutionnaire du tout.
« Regarder vers la France, ça vaut mieux que de regarder vers Moscou »
Jacquinot. — Quels sont les sentiments des Mexicains à l'égard des États-Unis?
GdG. — Toute l'industrie, tout le commerce, toute la finance sont dirigés par les Américains. C'est comme au Canada. Avec une grande différence. Les Anglais du Canada se prêtent à cette mainmise, parce qu'ils se sentent de la même race, de la même culture, de la même langue, et qu'ils profitent largement de cette situation. Ils font la courte échelle aux Américains. Ça leur permet d'accentuer leur domination sur les Français. Les Mexicains, comme les Canadiens français, ne se sentent ni de la même race, ni de la même culture, ni de la même langue. Ils supportent de moins en moins cette situation. Pour le moment, ils le manifestent en regardant vers la France. Ça vaut mieux que de regarder vers Moscou.
AP. — Les anciennes classes dirigeantes, les Espagnols, le clergé, se satisfaisaient de cette situation.
GdG. — C'est pourquoi ils ont été balayés. Ils étaient comme les féodaux chez nous dans l'Ancien Régime, comme les petits-blancs aux colonies : des épaves de l'histoire. Nos féodaux à nous ont cru qu'il leur suffisait d'abolir leurs privilèges. Mais il était trop tard. On a aboli les privilégiés. C'est ce qu'a fait la Révolution mexicaine, avec beaucoup de violence. C'est ce qui arrivera en Amérique latine, partout où le dollar domine et a corrompu la classe dirigeante.
Jacquinot. —Avec qui avez-vous eu des conversations ?
GdG. — Lopez Mateos, naturellement, auquel je rendais sa visite de l'an dernier. J'ai vu aussi son héritier présomptif, Diaz Ordaz, bien qu'il ne soit pas encore élu — mais c'est tout comme. Chacun affiche la volonté de suivre la même politique que son prédécesseur. Ça compense le fait qu'on ne peut être Président qu'une seule fois, c'est une bizarrerie de leur Constitution.
« Ces pays manquent de capacités, de connaissances techniques, de faculté d'organisation, plutôt que d'argent. Nous pouvons faire beaucoup dans ce domaine.
Jacquinot. — En somme, c'était un voyage utile. »
Il en avait douté jusque-là. "Pourquoi va-t-il se balader, à quoi ça sert ?" doivent lui dire ses grands électeurs sénatoriaux.
« Le Mexique est très marqué par nous, et ce n'est pas seulement par politesse »
Au Conseil du 25 mars 1964, Couve : « La visite du Général au Mexique a précédé toute autre visite éventuelle en Amérique latine. Pourquoi le Mexique ? Il bénéficie d'une grande stabilité, grâce au règne d'un parti unique qui assure la permanence des institutions par cooptation. »
Jacquet me dit : « Ce serait bien, si l'UNR était comme ça. »
Le Général a vraiment l' oreille fine. Parlant dans notre direction : « Il ne tient qu'à vous. » Missoffe souffle à Jacquet : « Il t'a eu jusqu'au trognon. »
Couve, imperturbable, relate les moments forts de la visite : « Le premier jour était spectaculaire, mais il n'y avait encore là rien d'anormal. C'était l'accueil, entre l'aérodrome et la place de la Constitution. Il y avait beaucoup de monde, de l'ordre du million de personnes.
« L'apparition des deux Présidents de la République sur le balcon du Palais national, où il est de tradition que seul le Président mexicain paraisse une fois par an, a provoqué l'enthousiasme sur la place du Zocalo, noire de monde.
« En outre, l'hôte s'est adressé à la foule en espagnol. Alors sesont déclenchés des phénomènes exceptionnels. L'arrangement des choses s'y prêtait : visite à une cité ouvrière, au Congrès, au Sénat, à l'Université. Partout, un accueil de plus en plus chaleureux, qui ne semblait pas organisé, mais spontané, ou plutôt contagieux, comme ce fut le cas en Allemagne.
« À l'Université, des dizaines de milliers
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