C'était de Gaulle - Tome II
notre pays a retrouvé la stabilité et la paix. Sous aucune République, un Président n'avait quitté le territoire national si longtemps. Aujourd'hui, il peut s'absenter pour de longues semaines, la solidité des institutions le permet.
AP. — Et ce voyage est novateur pour notre politique extérieure ?
GdG. — Jusqu'à l'an dernier, beaucoup étaient convaincus que le pays était en train de se replier dans l'Hexagone. Hexagone, ce mot très laid, auquel les adversaires de la France voudraient la réduire, pour en faire ensuite une province dans un magma. La décolonisation pouvait apparaître aux Français comme un reflux douloureux. Ce voyage devrait leur montrer que la France, parce qu'elle a choisi les réalités et les nécessités de son temps, peut à nouveau rayonner à l'extérieur.
AP. — En débordant des frontières de notre ex-Empire?
GdG. — Ce voyage manifeste la volonté de la France d'être présente non seulement dans ses anciennes possessions, mais dans une partie du monde qui sera de plus en plus importante et où la France avait autrefois une position éminente. La France s'était éclipsée de l'Amérique latine depuis la grande crise de 1929-1930 ; mais elle dispose encore là-bas d'un capital moral et sentimental. C'est mon devoir de le réveiller.
« La coopération, ça consiste à apporter des ferments »
AP. — La France supporte déjà une lourde charge pour l'aide aux pays sous-développés. Est-ce que ce n'est pas une tâche démesurée?
GdG. — La coopération, c'est autre chose que de verser de l'argent. Ça consiste à apporter des ferments culturels et techniques qui permettent à un pays d'entrer dans la voie du développement ; c'est le levain qui fait monter la pâte. Mais c'est aussi la sympathie. N'oubliez pas qu'au moment de la Libération de Paris, les cloches, en Amérique latine, avaient sonné à toute volée. Notre politique d'indépendance recueille plus d'écho parmi ces peuples que nulle part ailleurs.
AP. — N'allez-vous pas mettre l'étincelle à une poudrière?
GdG. — Aujourd'hui, les pays latino-américains sont pris d'un véritable sentiment de claustrophobie. Beaucoup de dirigeants américains se déclarent maintenant convaincus que le seul moyen de mettre fin à la situation conflictuelle entre les deuxAmériques, c'est de réintroduire en Amérique latine une présence européenne.
AP. — L'Europe se poserait en médiatrice entre Américains du Sud et du Nord?
GdG. — Non, non! Ils n'ont pas besoin de médiateur. Simplement, nous pensons que la reprise des relations entre l'Europe et l'Amérique latine ne peut que faciliter une amélioration des relations entre les Américains du Nord et du Sud. »
L'indication est claire : il ne s'agit pas d'attiser le feu de l'anti-américanisme, mais de faire un contre-feu. Est-ce seulement une présentation du voyage plus acceptable par les Américains ?
1 Le Général a subi le 17 avril l'ablation de la prostate (voir p. 549 sq.).
Chapitre 18
« UN ATTACHEMENT POUR LA FRANCE, A QUOI RIEN NE SE COMPARE »
Au Conseil du 21 octobre 1964, Couve fait longuement le récit du périple : « Vingt-six jours, dix pays : le général de Gaulle aura été reçu officiellement dans toute l'Amérique latine, sauf l'Amérique centrale et les Caraibes.
« L'accueil a été extraordinaire. Sans exception aucune, les foules ont été innombrables et chaleureuses. Ce fut un succès complet. »
Couve a dû penser que, comme après sa relation de la visite au Mexique, le Général serait bref — c'est donc au ministre de tout conter. Mais cette fois, pour conclure ses deux voyages, le Général ne peut ou ne veut s'empêcher de dire au long son sentiment.
« Il nous appartient de reparaître »
GdG : « Il s'agissait de reprendre un contact perdu, et de revivifier une énergie latente : une vraie faveur envers la France. Cela a été fait. Si nous ne l'avions pas fait, cette faveur aurait continué à se dissoudre. Comme la concurrence est rude, c'était le moment de raviver ce sentiment.
« Il y a deux types de pays. Dans la plupart, il y a essentiellement deux peuples. Les Espagnols, qui ont été affranchis par Bolivar, dont l'action a fait tache d'huile, y compris au Brésil. Mais le Libertador n'a pas affranchi du tout les Indiens, une masse montagnarde, difficilement accessible, qui ne se modernise pas, et qui est tenue dans une sorte de relégation par des gouvernements héritiers du pouvoir
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