C'était de Gaulle - Tome II
tentée d'y adhérer.
Matignon, le lundi matin, 10 juin 1963.
J'interroge Georges Pompidou sur cette rumeur.
Pompidou : « Le comte de Paris ? Pourquoi pas la reine des gitans ? Ça ne ressemble pas au Général d'avoir pris des engagements. Il lui aura donné de bonnes paroles. C'est sa manière. » (Le mot sur « la reine des gitans » a été depuis lors attribué au Général. Celui-ci ne l'a jamais prononcé devant moi ; et je serais bien étonné qu'il l'ait formulé devant quiconque.)
« J'ai de la considération pour le comte de Paris, mais ce n'est pas un candidat »
Préfecture d'Angoulême, 13 juin, avant le départ du cortège. J'ai dans l'oreille les propos pleins de déférence que le Général m'a tenus sur le Prince 2 . Et je l'ai entendu dire voici un an — alors qu'il annonçait «une initiative pour assurer la continuité de l'État » : « Ce qu'il faudrait à la France, voyez-vous, c'est un roi. »
AP : « On parle beaucoup du comte de Paris pour votre succession.
GdG. — Ce que j'en pense, c'est qu'il n'a aucune chance.
AP. — L'Express écrit que vous le souhaiteriez comme successeur.
GdG. — Vous avez tort de lire L'Express, je vous l'ai déjà dit. Et ce qui compte en politique, ce ne sont pas les souhaits, ce sont les réalités. Le comte de Paris n'a aucune chance. Pas la moindre. On ne peut pas l'empêcher de songer à se présenter et on ne l'empêchera sans doute pas de le faire, car il le considère comme son devoir. Il me l'a dit plusieurs fois lui-même, il me le fait redire de tempsà autre, il le fait dire à droite et à gauche. J'en prends acte, mais le fait que j'en prends acte ne lui donnera pas une chance de plus.
AP. — On dit qu'il vous est sympathique, que vous l'aimez bien.
GdG. — J'ai de la considération pour le personnage historique qu'il est, à cause de ce qu'il représente, non seulement parce qu'il est le descendant de nos rois, mais parce qu'il est très pénétré du sens de l'intérêt général, de l'amour de la patrie. Il souhaite, chaque fois que c'est nécessaire, qu'on s'appuie sur le peuple contre les féodalités. Il a l'esprit capétien. Et puis, j'ai de la considération pour ce qu'il est personnellement : il a une magnifique famille, il a perdu un fils en Algérie. Il ne mérite que l'estime. Mais ce n'est pas un candidat. Il ne correspond plus à ce siècle. Aujourd'hui, les monarchies ne se font pas, elles se défont. Il ne s'agit pas de reconstituer la royauté héréditaire, il s'agit d'élire un Président de la République au suffrage universel. Et c'est tout différent. En tant que candidat pour la présidence de la République, il n'existe pas, et il a tort de se faire des illusions.
« Il représentait une part de la France qui eût été bien utile à la France libre »
AP. — Il aurait pu, en dehors de ses titres historiques, s'acquérir des mérites personnels?
GdG. — Mais justement, il ne l'a pas fait et, maintenant, il est trop tard pour qu'il le fasse.
« Les services qu'a rendus le comte de Paris ne pèsent pas très lourd. Il aurait pu en rendre un très grand, il y a quelque vingt ans. Je lui avais tendu la perche. Il ne l'a pas saisie. En juin 40, il aurait pu dire, comme son ancêtre le Balafré : "Il ne faut jamais capituler." Il aurait pu relever le drapeau et venir à mes côtés ; il n'y avait pas d'encombrement. Il représentait une part de la France qui eût été bien utile à la France libre.
« Je l'ai entouré de prévenances. Quand son père, le duc de Guise 3 , est mort dans l'été 40, j'ai organisé un service à Londres. Toute la France libre était là. Il y avait une telle atmosphère d'union au Comité français, que René Cassin m' a dit : " Si vous avez besoin d'une place au Comité pour l'offrir au comte de Paris, je suis tout prêt à lui céder la mienne."
« Mais le comte de Paris est resté au Maroc. Il a même fait le voyage de Vichy. Et il a dîné dans un restaurant des environs deVichy avec Laval, qui lui a offert d'être ministre du Ravitaillement... Encore heureux qu'il n'ait pas donné suite 4 !
« Ce ne sont pas les royalistes qui ont sabordé la République en 40, ce sont les républicains »
AP. — Vous n'avez donc jamais voulu restaurer la monarchie à travers le comte de Paris?
GdG. — Mais non ! Jamais 5 ! Ni à travers lui, ni à travers personne! Ni pendant la guerre, ni depuis mon retour aux affaires ! Simplement, le comte de Paris était utile à la France
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