C'était de Gaulle - Tome II
Général.
GdG : « Il n'y a aucune espèce de raison pour que vous refusiez cette invitation. C'est un homme digne de la plus grande estime. C'est un patriote. Son appui ne m'a pas fait défaut depuis que je suis revenu aux affaires. Et puis, il est le chef de la Maison de France, qui a régné mille ans sur le pays. On ne peut lui marquer que du respect. Mais vous y allez à titre privé, non ès qualités de ministre de la République. Et ne soyez pas trop engageant.
AP. — Vous ne manifestez pas autant de déférence à l'égard du prince Napoléon que du comte de Paris.
GdG. — Si, je les raccompagne tous deux jusqu'au perron.
AP. — Mais personne n'imagine que vous penseriez au prince Napoléon pour vous succéder. Vous avez plus d'attrait pour les Capétiens que pour les Bonaparte?
GdG. — À deux reprises, les Bonaparte ont pris la France grande et puissante et l'ont laissée, après un désastre, amputée et affaiblie. Les Capétiens ont fait la France à partir de leur petit pré carré. Il est naturel qu'on les préfère. »
« Nous sommes en monarchie, mais c'est une monarchie élective »
Je me hasarde à dire : « Si vous aimez bien le comte de Paris, c'est qu'il est gaulliste, et s'il vous aime bien, c'est que vous êtes capétien. »
Le Général ne sourit pas et me regarde fixement. Ai-je outrepassé la bienséance ? Au vrai, pour lui, être « gaulliste », c'est avoir cru en lui pendant la guerre. Dans les fiches d'audience que ses collaborateurs lui préparent, ils doivent répondre à la question : « Qu' a-t-il fait entre 1940 et 1944 ? » Le Prince adhère à son œuvre actuelle : ce soutien a du prix, mais cela ne peut faire de lui un « gaulliste » :
GdG : « Le comte de Paris a laissé passer l'occasion de se révéler. Il aurait pu aller se battre ! Les occasions ne manquaient pas. (Rire.) S'il avait récolté une blessure à Bir-Hakeim (comme on récolte des prix d'excellence), s'il avait été cité à l'ordre del'Armée et de la Nation, son destin aurait pu être tout autre. Il ne l'a pas fait. Il a eu tort. Maintenant, il est trop tard. La chance de l'Histoire est passée. Il n'a pas pris figure.
AP. — Celui qui sera votre successeur a déjà pris figure?
GdG (il reformule ma question, ce qui a pour effet de l'inclure lui-même dans les candidats qui ont une chance). — Oui, celui qui dans un an et demi sera capable d'emporter les suffrages de la majorité des Français, celui-là doit déjà avoir pris figure.
AP. — Vous m'aviez dit, mon général, que le comte de Paris serait un bon candidat pour une monarchie, et un mauvais candidat pour une République. Mais en fait, nous sommes en monarchie.
GdG. — Oui, nous sommes en monarchie, mais c'est une monarchie élective. Elle est d'une tout autre essence que la monarchie héréditaire de l'Ancien Régime. Elle a institué une nouvelle légitimité, qui fait la jonction avec la légitimité interrompue par la Révolution. Mais cette légitimité repose sur le peuple. »
Le comte de Paris : « De Gaulle peut faire élire qui il veut »
Cœur Volant, Louveciennes, 17 juin 1963.
Je passe prendre le père Carré. Le Prince nous accueille au seuil de sa demeure avec une dignité souriante. Il n'a à ses côtés que son secrétaire, celui qui rédige — si bien — son Bulletin.
Au cours du repas, le Prince aborde déjà le sujet, avec un sourire enjôleur de ses yeux verts :
« Dans notre Constitution, telle qu'elle a été modifiée et que de Gaulle l'applique, le Président est un monarque. Il ne peut pas se confondre avec un parti, ni même se satisfaire du bipartisme. Il faut qu'il se place en dehors et au-dessus des partis. Il faut qu'il soit au centre de gravité de la vie nationale et pas à droite ou à gauche. »
Au café, il m'entraîne seul sur un canapé et me déclare, en me fixant de son regard qui rayonne d'un éclat singulier :
« Le prochain Président de la République sera celui que de Gaulle aura désigné. Tout dépend de lui. Il peut faire élire qui il veut.
AP. — Vous pensez, Monseigneur, qu'il suffirait qu'il vous désigne pour que la monarchie soit rétablie en France?
Comte de Paris. — Je ne dis pas du tout cela ! Je dis que s'il décidait de me désigner comme dauphin, il n'aurait pas de peine à me faire élire. Je ne serais pas roi pour autant, mais président de tous les Français, comme mon aïeul Louis-Philippe était roi de tous les Français. Le fil de l'Histoire serait
Weitere Kostenlose Bücher