C'était de Gaulle - Tome II
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AP. — Mais si tous les non-gaullistes font alliance pour un candidat unique, comme ça vient d'être le cas dans l'Hérault, et surtout si les communistes ont l'habileté de renoncer à présenter eux-mêmes un candidat?
GdG. — À ce moment-là, ça pourrait être difficile. C'est pourquoi il ne faut rien faire pour provoquer l'opposition et l'inciter à se regrouper ! C'est aller à notre propre perte! Pourquoi diable Frey leur a-t-il lancé ce conseil, ou ce défi? Il n'est pas impossible que tous les non-gaullistes se liguent sur un nom, et que, dès le premier tour, ils décident, par exemple, de se mettre d'accord sur Pflimlin ou sur Guy Mollet. On retomberait automatiquement dans la IV e , car le thème de la campagne de ce candidat unique serait nécessairement, pour qu'il ait quelque chance de s'imposer, de réagir contre la V e République, qui réagissait elle-même contre la IV e .
« Alors, de deux choses l'une. Ou bien le peuple français continuera à se souvenir des désastres où l'a conduit la IV e République et mesurera le redressement que lui a valu la V e . Alors, il écartera cette manœuvre ; c'est simplement une affaire d'information ; ce sera votre affaire. Ou bien, le peuple aura perdu le souvenir des malheurs où l'avait précipité la IV e et ne sentira pas les progrès que lui vaut la V e . Alors, cette manœuvre pourra aboutir. Si c'est le cas, il n'y a plus qu'à désespérer. Quos vult perdere Jupiter dementat prius 2 . Il n'y aura plus qu'à espérer qu'un jour le peuple français redevienne raisonnable.
« Si le peuple français est bien informé, la réaction de bon sens devrait jouer. D'ailleurs, réfléchissez. Si le candidat opposé au nôtre est un ancien de la IV e , le peuple le vomira. Si c'est quelqu'un qui, sans avoir trempé dans la IV e , n'approuve pas la V e , alors, ce sera un inconnu. Or il faut d'abord s'être fait connaître, de préférence en bien, dans une haute charge, sinon on n'a aucune chance! »
« Au fond, tout ça ne me ragoûte plus »
Préfecture d'Angoulême, 13 juin 1963.
Une demi-heure avant le départ, le Général, après m'avoir donné quelques instructions, répond sans rechigner à mes questions.
Le bruit a couru, parmi les journalistes de l'escorte, que leGénéral pourrait abréger le septennat en cours, se faire réélire à l'automne au suffrage universel et s'ouvrir une nouvelle période de sept ans, qui le mènerait jusqu'en 1970 — à ses quatre-vingts ans. Au cours de cette tournée, dans ses discours en plein air, il a joué avec l'idée de la durée de son pouvoir, mais sans l'éclairer.
AP : « Comptez-vous avancer, comme on le raconte, la date du renouvellement de votre septennat?
GdG. — Pourquoi voulez-vous que je l'avance? J'ai été élu pour sept ans. Il faut que j'aille au bout de mon mandat. (Sèchement.) Vous le savez bien. J'ai pris un engagement, il faut que je le tienne. Quand on est élu pour un temps donné, il faut accomplir la totalité de sa tâche. Sinon, on est un jean-foutre.
AP. — Mais vous pourriez avoir d'autres raisons d'abréger votre septennat...
GdG. — Croyez bien que j'en suis tenté quelquefois. Au fond, tout ça ne me ragoûte plus, ça a cessé d'être dramatique. Je ne suis plus nécessaire comme je pense l'avoir été par moments. Les premières années, cela avait un sens. Ce que je représente était indispensable pour que la France sorte de l'abîme. Maintenant, elle en est sortie. Un autre pourrait prendre la barre. Mais peu importe que ça m'intéresse ou pas. C'est dans la Constitution. Il faut que la Constitution s'accomplisse. Donc, si mes forces me le permettent, j'irai jusqu'au bout.
« Il faudra bien qu'un jour ou l'autre, quelqu'un me succède »
AP (tentant de progresser vers la question tabou). — Donc, l'élection aura lieu en décembre 1965. Mais, pour l'opposition, la tâche serait plus difficile contre vous que contre un candidat de notre bord.
GdG. — L'opposition n'existe pas. Il y a des opposants opposés les uns aux autres, incapables de s'unir sur rien de sérieux. S'ils ne s'unissent pas, ils seront mis en miettes. S'ils s'unissent, ils fourniront la preuve qu'ils ne sont capables que de faire des combines louches, puisque rien de sérieux ne les unit, sinon la volonté de m'abattre et d'abattre mon œuvre.
AP. — Si vous devez vous représenter, personne de raisonnable ne doute que vous serez élu. Si vous ne devez pas vous représenter,
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