C'était de Gaulle - Tome II
à cause de ce qu'il symbolisait.
AP. — Même comme hypothèse d'école, n' avez-vous pas envisagé, pendant la guerre, le rétablissement de la monarchie?
GdG. — Dans l'abstrait, on pouvait tout envisager. Les Capétiens avaient fait la France. Ils l'avaient prise réduite à l'Île-de-France, et ils lui avaient donné les dimensions de la France d'aujourd'hui. Ils l'avaient hissée au rang de premier pays du monde. Et la III e République s'était effondrée d'une manière si indigne, et la France à cause d'elle, qu'il fallait bien s'interroger.
« Ce ne sont quand même pas les royalistes qui ont sabordé la République en 40, ce sont les républicains ! C'est quand même la Chambre du Front populaire qui a abdiqué dans les mains de Pétain et de Laval, alors qu'on savait bien qu'ils allaient supprimer les libertés publiques et instituer un régime dictatorial. Même ceux des communistes qui avaient pu rester parlementaires en désapprouvant le pacte Staline-Hitler ont accordé la confiance à Pétain! Et, parmi les fameux quatre-vingts qui n'ont pas voté les pleins pouvoirs à Pétain, il n'y en a eu qu'un, ce brave Vincent Badie 6 , qui a essayé de protester. Les autres sont restés muets comme des carpes. Alors, que les survivants de ces partis qui ont enseveli la République ne viennent pas aujourd'hui me donner des leçons de républicanisme !
AP. — On assure que votre famille était monarchiste et que vous-même, dans votre jeunesse...
GdG. — Je n'aime pas la République pour la République. Mais comme les Français y sont attachés, j'ai toujours pensé qu'il n'y avait pas d'autre choix. Évidemment, en 40, la question pouvait se poser : après cette lamentable débâcle, ne fallait-il pas revenir à unemonarchie constitutionnelle ? C' est le régime que les Anglais — et tant d'autres, les Hollandais, les Scandinaves, etc. — avaient eu la sagesse de se donner, celui que 1789 avait donné à la France et qui, comme en Angleterre, aurait pu, si le torrent de 1792 ne l'avait pas emporté, ménager la permanence des traditions et l'ouverture aux évolutions.
« Louis-Philippe n'y avait pas si mal réussi. Si, devant l'émeute de Paris, il s'était appuyé sur la province au lieu de s'enfuir à l'étranger, les Orléans seraient sans doute toujours sur le trône. Et en tout cas, si le comte de Chambord 7 n'avait pas été aussi entêté, nous aurions toujours un roi.
AP. — Autour de vous, dans la France libre, il y avait beaucoup d'officiers royalistes?
GdG. — Oui, naturellement, ils étaient nombreux à appeler la République "la Gueuse ".
« La République, je l'avais gardée vivante, intacte »
AP. — Pourquoi n' avez-vous pas proclamé la République au balcon de l'Hôtel de Ville?
GdG. — D'abord, parce qu'il n'y a pas de balcon à l'Hôtel de Ville. Ensuite, parce que je n'en avais pas le droit! Je ne pouvais tout de même pas donner à la République une base aussi fragile qu'un cri poussé devant une foule, à l'instigation d'un petit groupe qui prétendait me l'imposer ! Enfin et surtout, parce que, si je l'avais proclamée le 26 août 44, c'est que j'aurais admis qu'elle était morte le 10 juillet 40. Or je l'avais gardée vivante, intacte. La République se confondait avec la légitimité de la France libre. »
« Les Capétiens ont fait la France ; il est naturel qu'on les préfère »
Le comte de Paris m'a convié à déjeuner dans son manoir du Cœur Volant, à Louveciennes, le 17 juin 1963. Le père Carré, notre ami commun, m'a transmis l' invitation. Avant de l'accepter, j' interroge Pompidou. Il sourit :
« Mais bien sûr, allez-y, si vous avez du temps à perdre! Il se voit déjà rétablissant la monarchie. Ça supposerait, seulement, une condition: c'est que le Général le désigne comme dauphin !
AP. — Vous pensez que le Général se moque de lui ?
Pompidou. — Je ne dis pas ça. Je dis que le Général tient les gens en leur laissant entendre, sans jamais préciser, qu'il compte sur eux pour l'avenir. "Préparez-vous aux tâches qui vous attendent! " Ça marche à tous les coups. C'est comme ça qu'il a fait du comte de Paris ce qu'il a voulu. Mais il ne se moque pas de lui pour autant. C'est sa philosophie de l'histoire: "Il ne faut jamais insulter l'avenir", etc. Pour lui, le comte de Paris est une carte, parmi beaucoup d'autres, dans le jeu de la France. »
Dans le train entre Pons et Royan, 13 juin 1963, je pose la même question au
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