C'était de Gaulle - Tome II
avaient combiné leur affaire ensemble. »
Telle est du moins la version d'un témoin qui ne portait pas dans son cœur celui qui l'avait remplacé en 1962. Et qui souhaitait si passionnément le maintien du Général, que même une présentation objective du pour et du contre devait lui donner l'impression d'une trahison. (Pourtant, à chacune de mes conversations avec Malraux depuis le début de 1962, je l'ai toujours entendu souhaiter le maintien du Général à l'Élysée tant que celui-ci s'en sentirait l'énergie.) Pompidou par prudence, Malraux par respect pour la liberté de son héros, avaient dû éviter de formuler un avis tranché.
Quoi qu'il en soit, qui peut croire que le Général aurait obéi à quatre conseils, qu'ils se fussent annulés ou non ?
La formule « Moi ou le chaos » fait des ravages. Tous ces derniers jours, la vague s'est enflée. Les journaux de gauche n'hésitent pas à présenter le Général comme un paranoïaque, si imbu de son ego qu'il n'imagine pas que personne puisse le remplacer.
Cette campagne est mal partie. Faut-il même parler de campagne ? Le Général ne fait pas campagne. Ou plutôt, la seule campagne qui l'intéresse est celle qu'il mène contre la Commission de Bruxelles, contre les Cinq, contre la supranationalité, pour une « Europe des États », c'est-à-dire de la responsabilité politique.
Je relis mes notes de ces semaines-là, et il n'y est question que de la position de la France, jamais de celle du candidat.
« Ils ont cru que le général de Gaulle allait être vulnérable à cause de l'élection présidentielle »
Au Conseil du 10 novembre 1965, Couve précise les contacts qu'il a avec l'Italie, président semestriel des Six :
« J'ai rappelé que la Commission, son comportement, son état d'esprit, la façon dont elle fonctionne ne sont en aucune façon satisfaisants et sont à réviser entièrement; de même que la règle de la majorité applicable en principe le 1 er janvier prochain.
« Les Cinq l'ont bien compris. Ils proposent une réunion à Six, sans la Commission. Il faut qu'on ait défini une orientation donnant la certitude qu'on ne va pas retomber immédiatement dans la crise. Il faudra sûrement de longues semaines pour que cette réunion des Six puisse se tenir.
GdG. — De toute façon, ce sera long ; de toute façon, on ne sait pas comment ça aboutira. Mais il y a un certain progrès. »
Après le Conseil, le Général me dit : « La Commission et nos cinq partenaires ont été remontés depuis des semaines et des mois par notre opposition. Tous ensemble, ils ont cru que le général de Gaulle allait être vulnérable à cause de l'élection présidentielle. Nous allons leur montrer que nous pouvons, élection ou pas, défendre l'intérêt de la France en le faisant passer avant nos intérêts électoraux. »
« Plus les autres ragoteront, promèneront des majorettes et des éléphants, plus ça leur fera du tort »
À la fin de notre entretien, le Général me précise : « L'élection présidentielle, dites bien qu'il n'en a pas été question 1 . (C'est un fait.)
AP. — Que pensez-vous de la réaction de l'opposition à votre allocution ?
GdG. — Elle fait son métier, elle aboie. Ça n'a jamais empêché les caravanes de passer.
AP. — Et la réaction étrangère ?
GdG. — Elle n'est pas mauvaise du tout ! Notre opposition avait fini par la persuader que cette élection n'aurait pas lieu suivant les règles démocratiques, que j'allais trouver une entourloupette pour me maintenir par référendum, etc. Ils sont tout étonnés que les choses se passent conformément à la Constitution.
AP. — Comment entendez-vous mener cette campagne ?
GdG. — J'ai dit le 4 novembre ce que je pensais avoir à dire. Je m'exprimerai donc en fin de campagne, très brièvement. En réalité, je souhaite ne parler qu'une seule fois, mais ne le dites pas formellement.
AP. — Les autres candidats vous cribleront de coups !
GdG. — Plus les autres ragoteront, raconteront des histoires, promèneront des majorettes ou des éléphants, plus ça leur fera du tort. »
Cependant, il ajoute en me raccompagnant : « Ce que vous pourriez faire, mine de rien, c'est ridiculiser cette campagne sur cette formule "moi ou le chaos" que je n'ai jamais prononcée. On fait semblant de ne pas comprendre ce que j'ai dit. Vous pouvez vous faire interroger et prendre la chose sur le ton de l'ironie. »
Je me fais donc interviewer à la
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