C'était de Gaulle - Tome II
instantanément, de se ruer sur le Caucase, de se balader deux ans en Afrique impunément. Mais c'est l'éternelle histoire : ce qui a été bon une fois le sera-t-il la prochaine fois ? On croit la méthode insurpassable.
« Nous, nous jouons la dissuasion, qui a pour effet qu'on ne fait pas la guerre. Eux, ils supposent qu'on fait la guerre. Aujourd'hui, il y a l'arme atomique. Les Allemands ne l' ont pas. Que vaudra une armée sans ça ? En ce qui nous concerne, nous aurons l'arme atomique. Ça ne nous empêchera pas d'avoir le reste. Mais c'est notre principal objectif.
Messmer. — S'ils avaient le choix entre l'arme blindée et l'arme atomique, ils choisiraient la seconde ; ils n'ont pas le choix. »
« Héroïsme pour soi, trouille pour les autres »
À l'issue du Conseil, je reviens sur la question : « Pensez-vous que l'idée de défendre notre sanctuaire et lui seul soit tenable longtemps ? Si l'Allemagne, la Belgique, la Hollande étaient submergées par les blindés et l'aviation soviétiques, resterions-nous l'arme au pied ? Est-ce crédible ?
GdG. — Ne confondez pas ! Si les Russes attaquent n'importe quel pays de l'Alliance, elle doit jouer sans réserve. Nous enverrons immédiatement nos troupes sur le sol envahi. (Il écarte le conditionnel : il se projette tout de suite dans le futur.) Nous tiendrons sans réserve nos engagements conventionnels. Et je voudrais croire que l'Amérique dissuadera la guerre, par la menace sans équivoque d'employer l'arme absolue, si les Russes attaquent un territoire de l'Alliance même avec leurs seules forces conventionnelles.Ça, je l'espère ; mais je n'en suis pas sûr du tout, du tout ! » Un bon rire le libère de cette perspective.
«Ensuite, nous autres, nous avons notre sanctuaire. Si nous sommes attaqués sur notre territoire, nous répondons par l'armement atomique. Nous engageons notre existence pour défendre notre existence. Mais nous ne l'engageons que pour cela. On ne nous croirait pas si nous prétendions l'engager pour les autres. Nous ne sommes pas assez forts pour ça.
« À supposer qu'il suffise d'être fort. Ce dont je doute. Il faut par-dessus tout avoir le courage de risquer sa vie et la vie de tous les siens. On peut le faire pour soi-même ; mais on ne peut pas le faire pour des étrangers. Dans ces moments-là, c'est l'instinct de survie qui parle. C'est-à-dire à la fois le courage de risquer sa vie pour soi-même, et le recul devant la perspective de risquer sa vie pour les autres. Héroïsme pour soi, trouille pour les autres. »
Ce contraste machiavélien déclenche à nouveau son hilarité.
« La guerre atomique remet en cause tous les engagements »
29 septembre 1963. Dans l'avion du retour, après sa visite dans le Vaucluse, l'Ain et le Rhône, le Général me dit sa satisfaction de ce qu'il a vu à Pierrelatte et Cadarache. Il grogne quand même un peu : « Toujours la même manie de retarder, quand tout n'est pas parfait. Si c'est acceptable, il faut le faire, sans attendre ! Mais le personnel fait bonne impression. Ce sont des gens en possession de leur affaire. Les délais semblent devoir être tenus. Notre première génération de bombes A sera remplacée plus tard par des bombes H. Je n'ai qu'à me louer de ce que j'ai vu. »
Comme chaque fois à la fin d'une performance risquée et réussie, il est euphorique. On avait annoncé que les populations boycotteraient le voyage du Général, que la vallée du Rhône serait « un désert ». Or, les consignes ont été peu suivies ; à Lyon, la place des Terreaux était noire de monde. Les discours sont bien passés.
Le Général, détendu, est porté à la confidence.
GdG : « Voyez-vous, pendant longtemps, on a pu compter sur le jeu automatique des alliances, parce qu'elles n'engageaient pas totalement l'existence d'une nation. Aujourd'hui, la guerre atomique remet en cause tous les engagements. Vous imaginez un Président des États-Unis prenant le risque de condamner à mort des dizaines de millions d'Américains en vertu d'un traité d'alliance ?
« Comment voulez-vous être sûr que le Président des États-Unis pressera sur le bouton, si le destin du peuple américain n'est pas directement menacé ? On peut être sûr du contraire.
« Après le déclenchement par l'Allemagne de la première puis de la seconde guerre, les Américains ont attendu trois ans et cinq ans pour débarquer chez nous. Comment voulez-vous qu'ils sedécident en quelques secondes, si
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