C'était de Gaulle - Tome II
la défense opérationnelle du territoire, comment entrerait-elle en ligne ?
GdG. — Ce serait une force clandestine en territoire occupé, qui intercepterait les trains, saboterait l'électricité, les communications, bref, rendrait la vie impossible à l'occupant. Comme nous l'avons fait en 44. Mais sans avoir à attendre quatre ans.
AP. — Supposons que, malgré la force de dissuasion, la guerre ait éclaté, que les batailles d'Allemagne puis de France aient été perdues... Vous repartiriez pour Londres ? »
Le Général me regarde sévèrement, de l'air de dire : « Il n'y a pas de quoi plaisanter. »
GdG : « Celui qui serait alors en charge de la France verrait ce qu'il conviendrait de faire. Peut-être s'installerait-il à la Martinique. Fort-de-France ferait une bonne capitale provisoire de la France. Ce qui est sûr, c'est que le Président de la République devra rester libre, que la France le serait avec lui et qu'elle lutterait pour recouvrer partout sa liberté. »
Autant le Général est convaincu que la force de frappe française nous protège d'une menace nucléaire, autant il est prudent quant à l'usage de nos bombes atomiques comme réplique à une agression conventionnelle. Prendre l'initiative du feu nucléaire contre une puissance capable de représailles, c'est une décision à « ne pas exclure », mais à ne pas considérer non plus comme acquise. S'il va jusqu'à prévoir la défense opérationnelle du territoire, et même le repli sur Fort-de-France, c'est qu'il n'est pas assuré à 100 % que notre force de frappe nous « sanctuariserait »...
Ce qui nous sanctuarise à ses yeux, c'est l'Histoire, c'est la réversibilité de toute défaite, c'est la foi dans l'éternel retour de la France.
« L'armement atomique, c'est une affaire de quarante ans au moins »
Salon doré, 22 juillet 1964.
GdG : « L'armement atomique, c'est une affaire de quarante ans au moins ; pour le mettre sur pied, il nous aura fallu quinze ans, et il sera valide pour au moins vingt-cinq ans encore, sans doute davantage. Alors, allons-nous nous priver de faire un armement atomique maintenant, quand nous savons très bien que, dans quinze ans, l'Amérique et le monde peuvent devenir tout autre chose que ce qu'ils sont ? Nous ne savons pas ce qu'ils seront. Nous ne savonsqu'une chose, c'est que, si nous ne faisons pas notre armement atomique maintenant, nous ne le posséderons jamais. »
« La reconquête de l'indépendance est le principal objet de notre force nucléaire »
Préfecture de Strasbourg, 22 novembre 1964.
J'interroge le Général sur le discours qu'il vient de prononcer pour le vingtième anniversaire de la libération de la ville.
GdG : « La défense de l'Europe n'est plus une question aiguë, pour la bonne raison que personne ne se sent plus menacé. Et c'est pourquoi les pays d'Europe ne feront rien. Mais nous, nous faisons des bombes atomiques et leurs vecteurs, et nous continuerons d'en faire. Nous le faisons moins pour faire face à une menace, que parce que nous voulons redevenir souverains. La reconquête de l'indépendance est le principal objet de notre force nucléaire. Et puis, également, tout de même, la défense. Si actuellement on n'est pas menacé, on peut l'être un jour.
AP. — Vous avez évoqué une organisation européenne de défense.
GdG. — Mais non ! J'ai dit qu'il fallait une organisation politique, qui comporte la coopération organisée des six États, c'est-à-dire la confrontation périodique des chefs d'État et de gouvernement, celle de leurs ministres, une commission commune qui ne soit naturellement pas constituée avec des Jean Monnet, des apatrides soi-disant supranationaux, mais avec des fonctionnaires qualifiés, qui resteront là plusieurs années et qui, en commun, prépareront les délibérations. Et puis un état-major pour discuter des affaires militaires, des fabrications d'armement et tout et tout. Voilà ce que j' ai proposé. Mais je ne propose pas ce que voudraient tous les couillons, tous les laissés-pour-compte de l'Europe supranationale, qui disent à la France : "À la rigueur, on peut admettre que vous fassiez des bombes atomiques, mais à condition que vous les donniez à l' OTAN, ou tout au moins à Spaak". Voilà leur maladie. Ils peuvent courir ! »
1 Ministre des Armées.
2 En octobre 1956, alors qu'il préparait secrètement une attaque franco-anglaise à partir de Chypre contre le canal de Suez, le gouvernement Guy Mollet
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