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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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Il ne l’a pas fait.
     
    Six semaines. Les audiences durent six semaines. Il faut songer aux jurés qui passent ce temps dans des conditions d’un singulier inconfort. Ce sont d’honnêtes gens. Mais comment ne seraient-ils pas dépendants de leur éducation, du climat social, de leurs réactions instinctives ? Le juge Thayer conduit le procès comme celui de coupables. Au vrai, il a condamné Sacco et Vanzetti dès le premier jour. Entre les audiences, il lâche des confidences, s’adressant même à des journalistes :
    — Vous avez vu ce que j’ai fait à ces bâtards d’anarchistes ?
    Pendant tout le procès, on évite soigneusement de parler des opinions des accusés. Thayer y tient. Il ne veut pas transformer le tribunal en forum. Les avocats ont conseillé à Sacco et à Vanzetti de ne se livrer à aucune déclaration imprudente. Cependant, lors d’une audience, Sacco bondit. Il sait bien, lui, où est le vrai sens du procès : s’il n’était pas anarchiste, on ne le persécuterait pas ainsi, il en a la conviction. Et il éclate. Il explique son enfance, sa pauvreté, son désir de justice. Au début, certains jurés sourient. Le vocabulaire de Sacco est très pauvre, il trouve mal ses mots. Bientôt, plus personne ne s’amuse. Sacco dit qu’il voudrait que les hommes vivent comme des hommes, que leur nature leur donne à tous ce qu’elle a de meilleur, parce que tous les hommes sont semblables. Il condamne la guerre :
    — On fait la guerre pour les affaires, pour qu’on gagne des millions de dollars. Quel droit avons-nous de nous tuer les uns les autres ? J’ai travaillé pour un Irlandais, j’ai travaillé pour un Allemand, j’ai travaillé avec des Français et avec des gens de beaucoup d’autres peuples. J’aime ces gens-là comme j’aime ma femme et ceux de ma famille. Pourquoi est-ce que j’irais tuer ces hommes ? Qu’est-ce qu’ils m’ont fait ?… Je voudrais qu’on détruise tous ces canons. Voilà pourquoi je lutte avec les gouvernements socialistes, et pourquoi, dans mon idée, j’aime les socialistes. Et c’est pourquoi j’aime les gens qui veulent de l’instruction, et qu’on vive aussi bien qu’on peut. C’est tout.
    Il faut voir à l’audience Sacco gesticulant, les jurés penchés en avant, les yeux ronds, les avocats pétrifiés, le sténographe hors de lui, Katzmann et Thayer agitant la tête avec colère. Sacco est retombé sur son siège. Il a fini. Un grand silence s’étend sur la salle d’audience.
    Pour reprendre le dessus, Katzmann rappelle les mensonges de Sacco sur Boda, etc. Sacco répond qu’il a menti parce qu’il avait peur. Il avait peur parce que la police avait tué l’anarchiste Salsedo.
    Le verdict sera rendu le 14 juillet 1921. Il était prévisible. Les deux accusés sont déclarés coupables. Dès qu’il a entendu le mot « coupables » Sacco a hurlé :
    —  Sono innocenti !
    Rosina s’est jetée dans ses bras en sanglotant. Vanzetti se tait. Sacco crie encore :
    — N’oubliez pas ! Ils tuent deux hommes innocents !
    Il est hors de doute que cette décision soulève un profond malaise. Certes, des témoins ont reconnu Sacco et Vanzetti. Mais comment oublier leurs contradictions et leurs erreurs ? Comment ne pas souligner une fois de plus la faiblesse du témoignage humain ? Comme une immense vague, l’émotion se lève en Amérique. Elle déferle à travers le monde. Partout, des comités se forment. C’est un formidable combat qui commence. Un combat d’opinion, un combat judiciaire. Pendant les années 1920-1923, la défense ne cesse de déposer des motions supplémentaires. On trouve de nouveaux témoins, de nouvelles présomptions d’innocence mais tout cela se plaide devant Thayer. Thayer repousse toutes les motions. Coup de théâtre : un condamné, un certain Madeiros, s’accuse. Il avoue qu’il faisait partie du gang qui avait commis les crimes de South Braintree. Et il jure : ni Sacco ni Vanzetti ne s’y trouvaient.
    D’appel en appel, de motion en motion, les années passent. La mort est suspendue sur les têtes de Sacco et de Vanzetti. Tel est le système judiciaire américain. On veut que toutes les garanties bénéficient aux accusés. On en arrive à d’interminables agonies. C’est le cas ici. La défense retrouve un gang Morelli qui pourrait bien avoir fait le coup. On n’approfondit pas l’affaire. Les avocats déposent une nouvelle motion sur l’affaire Madeiros. Thayer la

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